Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1134 QPC du 29 avril 2025

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 29 avril 2025, une décision importante relative à la conformité constitutionnelle de l’article 719 du code de procédure pénale. Cette disposition législative organise les modalités du droit de visite reconnu aux parlementaires et aux bâtonniers dans les locaux de privation de liberté. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d’État le 29 janvier 2025, le juge devait apprécier une éventuelle omission du législateur. Des organisations professionnelles contestaient l’absence des geôles et des dépôts judiciaires dans la liste des lieux soumis à ce contrôle régulier par les autorités.

Les requérants affirmaient que cette exclusion privait les détenus provisoires des garanties fondamentales offertes par une surveillance indépendante des conditions réelles de leur rétention. Ils invoquaient notamment une méconnaissance manifeste du principe d’égalité devant la loi et de l’exigence de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Le problème de droit posé consistait à savoir si la Constitution autorisait l’exclusion des tribunaux judiciaires du champ d’application de ce contrôle extérieur. Le Conseil constitutionnel censure la disposition en jugeant que la différence de traitement instaurée entre les personnes privées de liberté est dépourvue de fondement. Cette décision s’articule autour de la reconnaissance d’une rupture d’égalité avant de préciser les modalités temporelles indispensables au report de l’abrogation du texte.

I. La reconnaissance d’une rupture d’égalité dans le contrôle des lieux de détention

A. L’identification d’une lacune législative préjudiciable aux droits fondamentaux

Le premier alinéa de l’article 719 énumère limitativement les lieux accessibles aux autorités, omettant toutefois les espaces de rétention situés dans les enceintes judiciaires. Le juge relève que le législateur a souhaité instaurer un contrôle des locaux où une personne est maintenue à la disposition de la justice. Or, le texte contesté ne permet pas l’exercice de ce droit de visite dans les « lieux de privation de liberté situés au sein des juridictions ». Cette lacune prive les personnes en attente de présentation devant un magistrat d’une garantie de surveillance pourtant accordée aux autres détenus.

Le Conseil rappelle que le droit de visite vise à assurer le respect des droits fondamentaux des individus faisant l’objet d’une procédure pénale. L’exclusion des dépôts judiciaires crée une zone d’ombre où les conditions matérielles d’enfermement ne bénéficient pas de la même transparence que les prisons. Les magistrats soulignent que les personnes maintenues au sein des tribunaux se trouvent pourtant dans une situation juridique comparable à celle des gardés à vue. Cette omission volontaire ou fortuite du législateur réduit l’efficacité du contrôle parlementaire sur les pratiques privatives de liberté au sein de l’institution judiciaire.

B. La sanction de l’absence de justification rationnelle à la différence de traitement

En s’appuyant sur l’article 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil affirme que la loi doit être identique pour tous les citoyens protégés. Le principe d’égalité autorise des distinctions seulement si elles reposent sur des critères objectifs et rationnels en lien direct avec le but législatif. Les juges considèrent ici que l’exclusion des geôles judiciaires est « sans rapport avec l’objet de la loi » relatif à la surveillance des détentions. Aucune raison d’intérêt général ne justifie que le droit de visite s’arrête aux portes des tribunaux judiciaires ou des cours d’appel.

La juridiction constitutionnelle conclut que les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant la loi en raison de cette différence de traitement totalement injustifiée. La décision précise que le législateur a instauré un mécanisme protecteur dont le champ d’application est arbitrairement restreint par la rédaction actuelle du code. Par conséquent, l’absence de mention des lieux de maintien à disposition de la justice constitue une violation directe des droits garantis par la Constitution. Cette censure impose ainsi une extension nécessaire des pouvoirs de contrôle des autorités compétentes à l’ensemble des locaux de privation de liberté.

II. L’aménagement temporel nécessaire de la déclaration d’inconstitutionnalité

A. Le report de l’abrogation pour assurer la continuité de la protection des détenus

Le juge constitutionnel décide de différer la date de l’abrogation effective de la disposition litigieuse au 30 avril 2026 pour protéger l’ordre juridique. Une censure immédiate supprimerait instantanément le droit de visite existant pour les prisons ou les locaux de garde à vue, créant un vide inacceptable. Le Conseil estime qu’une telle disparition brutale du cadre légal actuel « entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives » pour la sauvegarde des libertés. Ce délai offre au Parlement la possibilité d’adopter une nouvelle rédaction incluant les locaux de rétention des tribunaux dans la liste légale.

Cette technique du report de l’abrogation permet de maintenir temporairement un dispositif imparfait tout en obligeant le législateur à intervenir dans un délai contraint. La sécurité des personnes privées de liberté dans les établissements pénitentiaires reste ainsi assurée par les visites parlementaires durant la période de transition. Les magistrats veillent à ce que la protection des droits ne soit pas affaiblie par les effets techniques d’une déclaration d’inconstitutionnalité immédiate. Le législateur devra désormais intégrer les exigences constitutionnelles pour garantir une surveillance universelle des lieux où s’exerce la contrainte de l’État.

B. La préservation de la sécurité juridique par la limitation de la portée rétroactive

Parallèlement à ce report, la décision précise que les mesures prises avant cette échéance sous l’empire de l’ancienne loi ne pourront être contestées. Cette réserve vise à garantir la stabilité des procédures judiciaires en cours tout en imposant une mise en conformité rapide du droit positif. Le Conseil rappelle qu’il ne lui appartient pas de se substituer au Parlement pour définir précisément les nouvelles modalités du droit de visite. L’autorité législative dispose d’une marge de manœuvre pour fixer les conditions d’accès aux dépôts tout en respectant l’impératif d’égalité désormais posé.

Cette solution équilibrée concilie le respect des principes constitutionnels avec la nécessité de maintenir une continuité indispensable dans la surveillance des lieux d’enfermement. La déclaration d’inconstitutionnalité bénéficie aux requérants mais ne saurait paralyser l’ensemble du système de contrôle actuellement opérationnel sur le territoire national. Le Conseil constitutionnel affirme son rôle de gardien des libertés en censurant une discrimination tout en prévenant le désordre que provoquerait une abrogation instantanée. La nouvelle loi devra impérativement assurer que chaque lieu de privation de liberté soit soumis à un regard indépendant pour protéger la dignité humaine.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture