Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2025-1135 QPC du 25 avril 2025, s’est prononcé sur la conformité de l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945. Cette disposition régissait les conditions de perte de la nationalité française lors de l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère par un citoyen. Plusieurs requérants ont soulevé cette question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion d’un litige relatif à leur propre nationalité. Ils soutenaient que le texte initial instaurait une discrimination injustifiée entre les hommes et les femmes. La Cour de cassation a transmis cette requête le 30 janvier 2025, constatant le caractère sérieux du grief invoqué. La question posée aux juges portait sur le respect du principe d’égalité devant la loi et de l’égalité entre les sexes. Le Conseil constitutionnel a déclaré les mots « du sexe masculin » contraires à la Constitution pour violation de ces principes fondamentaux.
I. La censure d’une distinction sexuelle injustifiée en matière de nationalité
A. L’affirmation du principe d’égalité dans l’accès au droit de conservation
Le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 6 de la Déclaration de 1789 impose que la loi « doit être la même pour tous ». Le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose également que « la loi garantit à la femme des droits égaux à ceux de l’homme ». En l’espèce, l’article 87 du code de la nationalité prévoyait la perte automatique de la nationalité française pour tout majeur acquérant une nationalité étrangère. Toutefois, l’article 9 contesté instaurait une exception temporaire pour les Français du sexe masculin âgés de moins de cinquante ans. Ces derniers ne perdaient leur nationalité qu’avec une autorisation gouvernementale, leur offrant ainsi une faculté de conservation refusée aux femmes. Cette différence de traitement reposait exclusivement sur le sexe de l’individu, créant une situation juridique asymétrique pendant plusieurs années. Les juges ont ainsi relevé que cette règle ouvrait une faculté aux hommes « sans l’offrir également aux femmes âgées de moins de cinquante ans ».
B. L’insuffisance du motif lié aux obligations militaires
Pour justifier cette différence, le législateur de 1945 invoquait la nécessité de la reconstruction nationale et le contrôle des obligations militaires. Le Conseil constitutionnel admet que subordonner la perte de nationalité à une autorisation peut répondre à l’objectif de « faire obstacle à l’évasion militaire ». Le Gouvernement pouvait ainsi s’opposer à ce qu’un citoyen mobilisable utilise la naturalisation étrangère pour se soustraire à ses devoirs envers la nation. Cependant, les juges considèrent que cette finalité ne justifie pas le privilège indirect accordé aux hommes dans la conservation de leur lien national. La différence de traitement ne peut être regardée comme « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » selon la jurisprudence classique. L’exclusion des femmes de ce régime d’autorisation administrative caractérise donc une rupture d’égalité manifeste que l’intérêt général ne saurait couvrir. La protection des effectifs militaires ne nécessitait pas d’imposer aux seules femmes une perte automatique et irrévocable de leur qualité de Française.
II. Une inconstitutionnalité aux effets temporels encadrés
A. La reconnaissance d’une rupture d’égalité historique
La décision du Conseil constitutionnel revêt une importance particulière car elle porte sur une disposition législative qui n’est plus en vigueur aujourd’hui. L’article 62 de la Constitution permet au juge constitutionnel de déterminer les conditions dans lesquelles les effets passés d’une loi peuvent être remis en cause. Les juges soulignent que les dispositions contestées méconnaissent les exigences résultant de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946. En censurant les termes « du sexe masculin », le Conseil rétablit une égalité de droit de manière rétrospective pour la période de 1945 à 1951. Cette démarche s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel constant visant à purger l’ordonnancement juridique des discriminations sexuées héritées du passé. La décision consacre ainsi le droit pour les femmes d’avoir bénéficié des mêmes garanties de maintien de leur nationalité que leurs homologues masculins. L’inconstitutionnalité est donc totale, car le critère de distinction utilisé par le législateur était structurellement contraire aux libertés garanties par le bloc de constitutionnalité.
B. La conciliation entre rétablissement des droits et sécurité juridique
Le Conseil constitutionnel doit toutefois veiller à ce que l’annulation d’une règle ancienne n’entraîne pas des « conséquences excessives » pour la stabilité des situations juridiques. Une remise en cause universelle de toutes les pertes de nationalité depuis 1945 provoquerait une insécurité juridique majeure pour l’état civil. Les juges ont donc décidé que la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée par les seules femmes ayant perdu leur nationalité durant la période concernée. Leurs descendants peuvent également se prévaloir de cette décision dans le cadre d’instances nouvelles ou de procédures judiciaires n’ayant pas encore été jugées définitivement. Cette modulation protège l’intérêt des requérants tout en évitant une révision massive et automatique de la nationalité pour des milliers de familles. La décision précise que les bénéficiaires peuvent obtenir la reconnaissance de leur nationalité française en se fondant sur l’absence de perte légale de celle-ci. Le Conseil assure ainsi une réparation concrète du préjudice subi par les femmes sans déstabiliser l’ensemble du droit de la filiation nationale.