Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1135 QPC du 25 avril 2025

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 25 avril 2025, une décision marquante relative à l’égalité entre les sexes dans le droit de la nationalité. Cette question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 fixant les conditions de perte de la qualité de Français. En l’espèce, des descendants de personnes ayant perdu leur nationalité française contestaient la validité de dispositions législatives anciennes ayant produit des effets durables sur leur état civil.

La Cour de cassation a transmis cette question au juge constitutionnel par un arrêt de sa première chambre civile en date du 29 janvier 2025. Les requérants soutenaient que la loi traitait différemment les hommes et les femmes lors de l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère durant la période d’après-guerre. L’administration défendait la constitutionnalité de la mesure en invoquant les nécessités de la reconstruction nationale et le contrôle des obligations militaires masculines.

Le litige soulève la question de la conformité au principe d’égalité d’une règle réservant aux seuls hommes la faculté de conserver leur nationalité française. Le Conseil constitutionnel déclare les mots « du sexe masculin » contraires à la Constitution car cette distinction ne se justifie plus par l’objectif poursuivi.

I. La censure d’une discrimination sexuée historique

A. Le constat d’une rupture d’égalité caractérisée

L’ordonnance du 19 octobre 1945 prévoyait que l’acquisition d’une nationalité étrangère par un Français entraînait normalement la perte de sa nationalité d’origine. Toutefois, le texte contesté instauraient une exception notable pour les individus de sexe masculin âgés de moins de cinquante ans. Ces derniers ne perdaient leur qualité de Français qu’avec l’autorisation préalable du Gouvernement, contrairement aux femmes qui la perdaient systématiquement de plein droit.

Le Conseil constitutionnel souligne que ces dispositions « instauraient ainsi […] une différence de traitement entre les hommes de moins de cinquante ans […] et les femmes ». Cette distinction reposait exclusivement sur le sexe des citoyens français souhaitant acquérir une nouvelle allégeance nationale. Le juge rappelle que la loi doit garantir à la femme des droits égaux à ceux de l’homme dans tous les domaines.

B. L’inadaptation de la justification par l’intérêt général

Le législateur de 1945 souhaitait empêcher les hommes mobilisables de se soustraire à leurs obligations militaires par le biais d’une naturalisation étrangère. Le juge constitutionnel reconnaît la validité de cet objectif d’intérêt général lié à la reconstruction nationale et à la défense du territoire français. Cependant, le moyen employé créait un avantage indirect pour les hommes en leur permettant de conserver potentiellement leur double nationalité.

La haute juridiction relève que cette faculté n’était pas offerte aux femmes placées dans une situation juridique identique au regard du code de la nationalité. Elle affirme ainsi que la différence de traitement « ne peut être regardée comme justifiée au regard des objectifs » que le législateur poursuivait initialement. La méconnaissance de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946 entraîne donc l’inconstitutionnalité des mots litigieux.

II. L’encadrement des effets de l’inconstitutionnalité

A. Une restitution de nationalité strictement délimitée

La déclaration d’inconstitutionnalité produit des effets rétroactifs pour permettre aux victimes de la loi censurée de recouvrer leurs droits fondamentaux de citoyens. Le Conseil constitutionnel précise que cette décision peut être invoquée par les femmes ayant perdu la nationalité française entre 1945 et 1951. Leurs descendants peuvent également se prévaloir de cette inconstitutionnalité pour faire reconnaître leur propre appartenance à la communauté nationale française.

Le dispositif s’applique aux affaires nouvelles ainsi qu’aux procédures juridictionnelles qui ne sont pas encore jugées définitivement à la date de publication. Cette mesure assure l’effectivité du recours constitutionnel tout en corrigeant une injustice historique subie par de nombreuses femmes lors de leur naturalisation. Le juge veille ainsi à restaurer une égalité de statut civil entre les membres d’une même famille selon leur ascendance.

B. La préservation nécessaire de la stabilité juridique

Le Conseil constitutionnel doit arbitrer entre le rétablissement de la légalité républicaine et la sécurité des situations juridiques acquises depuis plusieurs décennies. Il redoute que la remise en cause généralisée des pertes de nationalité n’entraîne des « conséquences excessives » pour l’administration et la société. Le droit au recours est donc encadré pour éviter une instabilité massive de l’état civil de nombreux descendants potentiels non encore déclarés.

L’institution limite l’invocation de cette décision aux seules procédures en cours ou futures afin de protéger l’ordre juridique actuel contre des revendications trop anciennes. Cette prudence manifeste la volonté du juge de concilier la protection des libertés individuelles avec les impératifs de clarté de la loi française. La décision du 25 avril 2025 clôt ainsi un chapitre discriminatoire du droit de la nationalité tout en sécurisant l’avenir.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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