Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1136 QPC du 30 avril 2025

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 30 avril 2025, examine la conformité aux droits et libertés constitutionnels des premiers alinéas de l’article 114 du code de procédure pénale. Cette instance fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 4 février 2025. Le litige trouve son origine dans le cas d’un accusé dont la condamnation par défaut est devenue non avenue après son arrestation. Lors du supplément d’information ordonné par le président de la cour d’assises, l’intéressé a subi un interrogatoire sans recevoir notification de son droit de se taire.

Le requérant soutient que l’absence de cette formalité méconnaît la présomption d’innocence garantie par l’article 9 de la Déclaration de 1789 et les droits de la défense. Il dénonce également une rupture d’égalité par rapport aux autres mis en examen bénéficiant systématiquement de cette information lors de leur première présentation. Le Conseil constitutionnel doit déterminer si le silence du législateur sur cette garantie spécifique porte atteinte au principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser. La juridiction suprême conclut à une inconstitutionnalité limitée dans le temps avant de constater la validité des dispositions actuelles.

**I. La consécration du droit de se taire durant le supplément d’information**

**A. Une lacune législative attentatoire à la présomption d’innocence**

Le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 9 de la Déclaration de 1789 fonde le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ». Cette protection doit s’appliquer dès que la personne est interrogée sur les faits qui lui sont reprochés par une autorité judiciaire. Or, le magistrat instructeur agissant dans le cadre d’un supplément d’information est amené à poser des questions précises sur la culpabilité de l’accusé. Les dispositions de l’article 114 du code de procédure pénale, dans leur rédaction antérieure à 2022, ne prévoyaient aucune notification formelle de cette garantie essentielle.

Le juge constitutionnel souligne que l’accusé est « susceptible, en réponse aux questions qui lui sont posées, de reconnaître ces faits » sans mesurer la portée de son silence. L’invitation à répondre peut même « être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire ». Cette confusion entre l’obligation de comparaître et l’absence de liberté de ne pas témoigner contre soi-même fragilise l’équité de la procédure criminelle. Le législateur a donc méconnu les exigences constitutionnelles en omettant d’instaurer une obligation d’information claire lors de cette phase particulière de l’instruction.

**B. L’impact des déclarations sur l’issue du procès criminel**

La gravité de l’omission législative s’accentue par le fait que les réponses de l’accusé sont systématiquement « portées à la connaissance de la juridiction de jugement ». Les propos recueillis lors du supplément d’information influencent directement la conviction des jurés et des magistrats lors du nouvel examen de l’affaire. Sans la notification préalable de ses droits, l’accusé subit une rigueur non nécessaire qui altère la substance même de la présomption d’innocence. Le Conseil censure ainsi le mot « interrogées » figurant à l’article 114 car il permettait des interrogatoires sans garantie de neutralité.

Cette analyse rigoureuse confirme la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel visant à protéger l’autonomie de la volonté du mis en cause face aux autorités. L’absence de conseil ou d’avertissement durant cette étape charnière constitue une violation caractérisée des droits fondamentaux de l’individu placé sous main de justice. Cette déclaration d’inconstitutionnalité impose de vérifier si l’évolution récente du droit positif permet de combler ce vide juridique pour l’avenir.

**II. La régularisation de la procédure et la préservation de la sécurité juridique**

**A. La conformité retrouvée par l’extension du droit à l’information**

Le Conseil constitutionnel observe qu’une réforme législative majeure est intervenue par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Depuis le 1er mars 2022, l’article préliminaire du code de procédure pénale impose la notification du droit de se taire avant tout interrogatoire. Cette règle de portée générale s’applique désormais à toute personne poursuivie devant un magistrat, y compris dans le cadre d’un supplément d’information. « L’entrée en vigueur de ces dispositions le 1er mars 2022 a donc mis fin à l’inconstitutionnalité » constatée pour la période précédente.

Les sages estiment que les dispositions contestées ne méconnaissent plus les principes d’égalité devant la loi ou les droits de la défense depuis cette modification. Le texte actuel garantit une protection uniforme à tous les justiciables, quelle que soit la phase de l’instruction où ils se trouvent. La conformité à la Constitution est ainsi rétablie par l’intégration de la garantie dans le socle commun des principes de la procédure pénale. Il reste toutefois à définir le sort des procédures passées qui se sont déroulées sous l’empire de la loi défaillante.

**B. Le maintien nécessaire des actes de procédure antérieurs**

Le pouvoir de modulation des effets dans le temps permet au Conseil constitutionnel de limiter la portée de sa déclaration de contrariété. Il décide que les dispositions étaient inconstitutionnelles jusqu’au 28 février 2022, mais qu’elles deviennent conformes à compter du lendemain. Cette distinction chronologique préserve les actes accomplis récemment tout en sanctionnant les pratiques archaïques privant l’individu de ses droits. Le Conseil refuse toutefois que cette inconstitutionnalité puisse entraîner une remise en cause systématique des mesures prises sur le fondement du texte censuré.

Une telle invalidation globale des procédures passées « aurait ainsi des conséquences manifestement excessives » pour l’administration de la justice et la stabilité des décisions. Le juge privilégie la sauvegarde de l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions sur l’annulation rétroactive des actes viciés. Les mesures déjà exécutées ne peuvent être contestées, garantissant ainsi que la censure n’entrave pas l’efficacité de la répression criminelle. Cette décision concilie finalement le respect des droits individuels avec les nécessités impérieuses de la sécurité juridique au sein de l’État de droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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