Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2025

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 30 avril 2025, une décision importante relative à la conformité des procédures disciplinaires militaires aux exigences constitutionnelles fondamentales. Un militaire a contesté les dispositions du code de la défense encadrant les garanties dont il bénéficie lors d’une procédure de sanction administrative. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État le 7 février 2025, le juge constitutionnel devait examiner l’effectivité du droit au silence. Le requérant soutenait que l’absence d’information sur ce droit méconnaissait l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le litige opposait la nécessité d’une défense active à la protection indispensable contre l’auto-incrimination dans le cadre d’un manquement professionnel. Le Conseil constitutionnel juge que le droit de se taire s’applique à toute sanction ayant le caractère d’une punition, imposant ainsi une information préalable.

I. L’extension nécessaire du droit au silence à la discipline militaire

A. La reconnaissance de la nature punitive des sanctions disciplinaires

Le Conseil constitutionnel rappelle que les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 ne se limitent pas aux seules peines judiciaires. Ces principes fondamentaux s’appliquent également à « toute sanction ayant le caractère d’une punition », englobant ainsi les mesures disciplinaires prises par l’autorité militaire. Le juge souligne que de telles exigences impliquent que le professionnel poursuivi « ne puisse être entendu sur les manquements reprochés sans information préalable ». Cette qualification permet d’aligner le régime des sanctions administratives sur les garanties minimales du droit pénal général en matière de protection des libertés.

L’analyse de la juridiction constitutionnelle se fonde sur le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ». Le militaire s’expose effectivement à des sanctions graves qui nécessitent une protection identique à celle accordée à tout justiciable devant un tribunal. L’absence de mention du droit au silence dans le code de la défense crée une situation d’insécurité juridique manifeste pour l’agent public. Cette lacune textuelle prive le militaire d’une garantie essentielle à l’exercice d’une défense libre et éclairée devant l’administration ou les conseils.

B. L’obligation corrélative d’informer le militaire poursuivi

Le grief portait spécifiquement sur les mots « et à la présentation de sa défense » figurant au cinquième alinéa de l’article L. 4137-1. Le Conseil relève qu’aucune disposition législative ne prévoyait l’obligation d’informer le militaire de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Or, le fait d’inviter un administré à présenter sa défense peut « être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire ». Cette ambiguïté procédurale nuit gravement à la sincérité des déclarations recueillies lors de l’instruction du dossier par l’autorité investie du pouvoir de sanction.

L’autorité de poursuite prend connaissance des observations présentées devant les conseils et reçoit directement celles que le militaire formule devant elle lors des entretiens. En l’absence d’avertissement préalable, le militaire pourrait involontairement reconnaître des manquements susceptibles d’entraîner des conséquences disciplinaires ou pénales lourdes pour sa carrière. Le Conseil constitutionnel en conclut logiquement que le législateur a méconnu les exigences constitutionnelles en ne garantissant pas explicitement cette information vitale. La déclaration d’inconstitutionnalité sanctionne donc une omission législative contraire au respect de la présomption d’innocence et au droit à un procès équitable.

II. L’aménagement pragmatique des effets de la décision

A. Un report de l’abrogation justifié par des conséquences excessives

Le Conseil constitutionnel utilise les prérogatives de l’article 62 de la Constitution pour moduler les effets temporels de l’abrogation de la disposition législative critiquée. Une abrogation immédiate des termes contestés aurait pour conséquence de supprimer totalement la base légale permettant au militaire de présenter ses observations. Le juge estime qu’une telle disparition soudaine « entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives » pour le fonctionnement régulier de l’administration et des armées. Il décide en conséquence de reporter la date de l’abrogation effective de la loi au 1er mai 2026 pour permettre une réforme.

Ce délai offre au législateur le temps nécessaire pour modifier le code de la défense et introduire les garanties manquantes dans le texte. Le juge constitutionnel veille ainsi à maintenir l’équilibre entre la protection des droits individuels et la continuité de l’action publique au sein de l’État. Le maintien provisoire d’une disposition inconstitutionnelle est une pratique courante visant à éviter un vide juridique qui paralyserait l’exercice des poursuites disciplinaires. Cette prudence manifeste la volonté du Conseil de ne pas désorganiser les services publics tout en imposant une mise en conformité future obligatoire.

B. Une garantie immédiate instaurée par le juge constitutionnel

Afin de protéger les justiciables durant la période transitoire, le Conseil assortit sa décision d’une mesure d’application immédiate particulièrement protectrice des libertés. Jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, le militaire faisant l’objet d’une procédure « doit être informé de son droit de se taire ». Cette réserve d’interprétation impose une obligation nouvelle aux autorités militaires dès la publication de la décision au Journal officiel de la République française. Les administrations doivent donc adapter leurs formulaires et leurs procédures d’entretien sans attendre l’intervention formelle du Parlement ou du gouvernement.

Cette déclaration d’inconstitutionnalité peut également « être invoquée dans les instances introduites à la date de publication » et non encore jugées définitivement. Le juge constitutionnel assure ainsi une effectivité immédiate à son contrôle, bénéficiant tant au requérant initial qu’aux autres militaires dans la même situation. Le Conseil pallie la carence législative par une injonction claire qui sécurise les procédures disciplinaires en cours sur tout le territoire national. Cette décision renforce ainsi la protection des agents de l’État face au pouvoir de sanction de l’administration tout en respectant l’ordre juridique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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