Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1140 QPC du 23 mai 2025

Le Conseil constitutionnel a rendu le 22 mai 2025 une décision majeure relative aux conditions de placement en rétention administrative des demandeurs d’asile. Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité, le juge a examiné l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette disposition, issue de la loi du 26 janvier 2024, permettait de priver de liberté un étranger dont le comportement menaçait l’ordre public. Les requérants soutenaient que ce mécanisme portait une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle garantie par l’article 66 de la Constitution française. Ils dénonçaient également une méconnaissance du droit d’asile car le placement en rétention entraverait l’exercice effectif des droits des personnes concernées par la mesure. La question posée au Conseil était de savoir si la sauvegarde de l’ordre public justifie la rétention d’un demandeur d’asile en l’absence de procédure d’éloignement. Le juge constitutionnel déclare les dispositions contestées contraires à la Constitution en raison d’une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté individuelle des demandeurs.

I. La protection de la liberté individuelle face aux impératifs d’ordre public

A. L’insuffisance du motif de menace à l’ordre public pour la rétention

Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord que le législateur doit concilier la prévention des atteintes à l’ordre public avec le respect des libertés fondamentales. Il souligne que la liberté individuelle protégée par l’article 66 de la Constitution « ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire » lors de l’application de mesures. Le juge relève que la loi autorisait le placement en rétention « sur le fondement d’une simple menace à l’ordre public » sans exiger de critères de gravité. Cette absence de conditions tenant à l’actualité ou à la réalité de la menace rend la mesure de police administrative excessive au regard des objectifs. Le Conseil estime que « l’objectif poursuivi par ces dispositions n’est pas de nature à justifier une privation de liberté pour ce seul motif » spécifique. La simple préservation de l’ordre public ne saurait donc légitimer une mesure de rétention pour un individu qui n’est pas encore sous le coup d’un éloignement.

B. L’inadéquation du risque de fuite comme fondement de la privation de liberté

Le législateur avait également prévu le placement en rétention des demandeurs d’asile présentant un risque de fuite pour déterminer les éléments de leur demande. Le Conseil constitutionnel examine les critères permettant de caractériser ce risque, notamment le défaut de présentation d’une demande d’asile dans un délai de quatre-vingt-dix jours. Le juge censure ce raisonnement automatique car le dépassement d’un délai administratif ou l’entrée irrégulière sur le territoire « ne caractérisent pas nécessairement un risque de fuite ». En permettant une privation de liberté sur des bases aussi générales, le texte méconnaissait l’exigence d’une appréciation concrète et individuelle de la situation de l’étranger. L’autorité administrative disposait d’un pouvoir trop étendu qui ne garantissait pas la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée à la liberté d’aller et venir. Cette analyse conduit le juge à écarter ces dispositions pour protéger les droits fondamentaux de tout individu résidant sur le territoire de la République.

II. La primauté de la liberté individuelle sur les objectifs de contrôle de l’immigration

A. La censure d’une mesure de police administrative excessive

Le Conseil constitutionnel affirme que les objectifs de lutte contre l’immigration irrégulière participent de la sauvegarde de l’ordre public mais ne sont pas absolus. Il juge que le placement en rétention sans mesure d’éloignement préalable constitue une rigueur disproportionnée pour un demandeur d’asile dont la situation n’est pas tranchée. Le juge considère que les garanties offertes par l’article 66 de la Constitution imposent un contrôle strict des mesures privatives de liberté par l’autorité judiciaire compétente. En l’espèce, la loi permettait une rétention initiale de quarante-huit heures susceptible d’être prolongée de vingt-huit jours sans justification suffisante au regard de la liberté individuelle. La décision précise qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers un droit général de séjour, mais leurs droits fondamentaux doivent être strictement préservés. Le Conseil censure ainsi une dérive sécuritaire qui tendait à assimiler le demandeur d’asile à un étranger faisant l’objet d’une mesure d’expulsion définitive.

B. Les conséquences de l’abrogation immédiate sur le droit des étrangers

La déclaration d’inconstitutionnalité entraîne l’abrogation des mots contestés à l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le Conseil constitutionnel décide que cette abrogation prend effet immédiatement à compter de la publication de sa décision sans accorder de délai supplémentaire au législateur. Cette décision bénéficie directement aux auteurs de la question prioritaire de constitutionnalité et s’applique à toutes les instances judiciaires qui ne sont pas encore jugées. L’autorité administrative ne peut plus fonder de nouvelles mesures de rétention sur ces dispositions désormais disparues de l’ordonnancement juridique interne pour cause d’invalidité. Cette censure renforce la protection des demandeurs d’asile contre des mesures de contrainte physique qui ne seraient pas directement liées à l’exécution d’une mesure d’éloignement. Le juge constitutionnel réaffirme ainsi son rôle de gardien des libertés face aux politiques publiques de contrôle des flux migratoires menées par le Gouvernement.

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Hassan KOHEN
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