Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1140 QPC du 23 mai 2025

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 23 mai 2025, une décision n° 2025-1140 QPC relative au placement en rétention des demandeurs d’asile. Le juge constitutionnel examinait la conformité de l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Plusieurs associations requérantes critiquaient la possibilité d’enfermer un étranger pour une simple menace à l’ordre public ou un risque de fuite présumé. Saisi par le Conseil d’État d’une décision du 6 mars 2025, le Conseil constitutionnel devait concilier la sauvegarde de l’ordre public avec la liberté individuelle. Les auteurs de la question soutenaient que la rétention administrative méconnaissait les garanties de l’article 66 de la Constitution française en l’absence d’éloignement imminent. La question posée était de savoir si une privation de liberté peut être justifiée par des critères administratifs imprécis ou automatiques sans contrôle réel. Le Conseil censure les dispositions contestées car « l’objectif poursuivi par ces dispositions n’est pas de nature à justifier une privation de liberté pour ce seul motif ». Cette décision repose d’abord sur la protection de la liberté individuelle (I) puis sur le refus des présomptions législatives du risque de fuite (II).

I. La protection de la liberté individuelle face aux mesures de police administrative

A. Le cadre de la conciliation entre ordre public et droits des étrangers

Le Conseil rappelle qu’aucun principe n’assure aux étrangers des droits absolus d’accès ou de séjour sur le territoire national de la République française. Le législateur peut restreindre ces conditions par des mesures de police administrative afin de prévenir les atteintes à l’ordre public de manière efficace. Toutefois, il doit assurer une conciliation équilibrée entre cette prévention et le respect des libertés fondamentales reconnues à toute personne résidant en France. L’article 66 de la Constitution protège spécifiquement la liberté individuelle, laquelle ne saurait être entravée par une rigueur manifestement non nécessaire au but poursuivi. Les atteintes portées à cette liberté fondamentale doivent demeurer adaptées, nécessaires et strictement proportionnées aux objectifs de valeur constitutionnelle que le législateur souhaite atteindre.

B. L’inconstitutionnalité du placement en rétention pour simple menace à l’ordre public

Le texte contesté permettait le placement en rétention d’un demandeur d’asile au motif que son comportement constituait une menace pour l’ordre public national. Le Conseil constitutionnel relève que cette mesure s’appliquait même lorsque l’étranger ne faisait l’objet d’aucune mesure d’éloignement exécutoire de la part de l’administration. La censure s’explique par l’imprécision du fondement textuel qui n’exigeait aucune condition relative à la gravité ou à l’actualité de la menace invoquée. Le juge affirme que « l’objectif poursuivi par ces dispositions n’est pas de nature à justifier une privation de liberté pour ce seul motif » spécifique. Cette solution renforce la protection des demandeurs d’asile contre des mesures privatives de liberté qui seraient fondées sur des critères purement subjectifs ou arbitraires.

II. L’insuffisante caractérisation du risque de fuite par le législateur

A. Le rejet des critères automatiques de présomption du risque de fuite

Les dispositions censurées permettaient également la rétention en cas de risque de fuite identifié par l’autorité administrative lors du dépôt de la demande d’asile. Le législateur avait défini ce risque par le simple constat d’un dépôt tardif de la demande ou d’une entrée irrégulière sur le territoire national. Le Conseil constitutionnel juge que « ces circonstances ne caractérisent pas nécessairement un risque de fuite » de la part de l’étranger concerné par la mesure. L’absence d’appréciation concrète des garanties de représentation de l’intéressé rend la privation de liberté disproportionnée par rapport à l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière. La loi ne saurait donc présumer la volonté de se soustraire à l’autorité publique sur la base de seuls éléments temporels ou géographiques.

B. La portée de la censure : une garantie renouvelée du juge judiciaire

En déclarant ces dispositions contraires à la Constitution, le Conseil constitutionnel réaffirme son rôle de gardien de la liberté individuelle face aux extensions du pouvoir policier. L’abrogation immédiate des mots contestés empêche l’administration de recourir à la rétention administrative sans démontrer une menace réelle, grave et actuelle pour l’ordre public. Cette décision s’applique à toutes les instances non jugées définitivement, offrant ainsi une protection rétroactive aux personnes actuellement retenues sous ces fondements juridiques désormais invalides. Le juge constitutionnel rappelle ainsi que la privation de liberté doit rester une mesure d’exception strictement encadrée par des critères objectifs et contrôlables. Le droit d’asile ne saurait être entravé par des procédures de rétention dont la nécessité n’est pas rigoureusement démontrée devant le juge des libertés.

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Hassan KOHEN
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