Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-312 L du 12 juin 2025

Par une décision en date du 12 juin 2025, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Premier ministre, sur le fondement de l’article 37, alinéa 2, de la Constitution, d’une demande de déclassement de certaines dispositions du code des postes et des communications électroniques. La procédure visait à faire constater le caractère réglementaire de la désignation nominative de l’opérateur en charge du service universel postal, ainsi que la durée de cette mission. Cette démarche soulevait la question de la répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire, telle qu’organisée par les articles 34 et 37 de la Constitution, dans le cadre spécifique d’un service public assuré par une entreprise déterminée. Il s’agissait donc de déterminer si la désignation d’un prestataire spécifique pour une mission de service public relève des principes fondamentaux que seule la loi peut fixer.

À cette question, le Conseil constitutionnel répond par la négative en affirmant le caractère réglementaire des dispositions examinées. Il juge que « la première phrase de son premier alinéa, La Poste est le prestataire du service universel postal pour une durée de quinze ans à compter du 1er janvier 2011. Ces dispositions, qui se bornent à désigner le prestataire en charge de ce service et à fixer la durée de cette désignation, ne mettent ainsi pas en cause les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ». Par conséquent, le juge constitutionnel estime que le pouvoir exécutif est compétent pour modifier ces dispositions par décret.

La solution rendue, tout en s’inscrivant dans une application orthodoxe de la répartition des domaines de la loi et du règlement, consacre une distinction nette entre le régime du service public et l’identité de son exécutant. Ainsi, si la décision réaffirme la compétence exclusive du législateur pour définir les principes fondamentaux d’un service public (I), elle confirme dans le même temps que le choix de l’opérateur relève d’une mesure d’application de nature réglementaire (II).

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I. La réaffirmation d’une conception stricte du domaine de la loi

Le Conseil constitutionnel, par une motivation concise, applique sa jurisprudence constante relative à l’article 34 de la Constitution, en excluant la désignation d’un opérateur du champ des principes fondamentaux (A) et en confirmant ainsi une interprétation restrictive de la compétence législative en matière d’obligations (B).

A. L’exclusion de la désignation de l’opérateur des principes fondamentaux

Le juge constitutionnel opère une analyse matérielle des dispositions qui lui sont soumises pour déterminer si elles se rattachent à une matière réservée au législateur. En l’espèce, il examine les articles du code des postes et des communications électroniques désignant nommément une entreprise comme prestataire du service universel. Le Conseil observe que ces textes « se bornent à désigner le prestataire en charge de ce service et à fixer la durée de cette désignation ». Il en déduit que de telles mentions, par leur nature même, ne constituent pas un principe fondamental au sens de la Constitution.

Le raisonnement sous-jacent distingue clairement la norme de principe de la mesure d’application. Les principes fondamentaux des obligations, relevant de la compétence législative, concernent les règles structurantes qui définissent le régime général du service universel postal, telles que la nature des prestations, les exigences de qualité, les conditions d’accès ou encore les règles de tarification. En revanche, le fait de nommer l’entité chargée de mettre en œuvre ces obligations est considéré comme une simple mesure d’exécution, qui ne possède pas la généralité et l’abstraction d’un principe fondamental.

B. La confirmation d’une interprétation restrictive des obligations civiles et commerciales

En jugeant que la désignation de l’opérateur ne met pas « en cause les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales », le Conseil constitutionnel maintient une lecture stricte de cette catégorie de l’article 34. Cette approche n’est pas nouvelle et reflète une volonté de préserver l’équilibre des compétences voulu par le constituant de 1958, en évitant une extension excessive du domaine législatif. La décision s’inscrit dans le sillage d’une jurisprudence bien établie qui cantonne le pouvoir du législateur à la fixation des règles essentielles et générales.

Cette solution garantit une certaine cohérence dans la répartition des pouvoirs. Si le Parlement avait la compétence de nommer chaque opérateur de service public par la loi, cela conduirait à une rigidité excessive et à une confusion entre la fonction législative, qui est de poser des règles générales, et la fonction exécutive, qui est de les appliquer et de gérer l’administration. La décision du 12 juin 2025 préserve ainsi l’autonomie du pouvoir réglementaire dans la mise en œuvre concrète des services publics, conformément à l’esprit des institutions.

Au-delà de cette application rigoureuse de la distinction constitutionnelle, la décision emporte des conséquences pratiques significatives sur la gestion des services publics et la flexibilité dont dispose l’exécutif pour en assurer la continuité.

II. La portée pragmatique du déclassement pour la gestion du service public

La décision, en validant le caractère réglementaire des dispositions, renforce la capacité d’intervention du gouvernement sur les modalités d’exécution du service public (A), tout en consacrant juridiquement une dissociation entre la mission de service public et l’identité de son délégataire (B).

A. La souplesse accrue de l’action gouvernementale

L’effet immédiat du déclassement est de permettre au gouvernement de modifier par décret les dispositions législatives concernées. Concrètement, l’exécutif acquiert la compétence pour changer le nom de l’opérateur désigné ou pour ajuster la durée de sa mission sans avoir à passer par une nouvelle procédure législative, souvent longue et complexe. Cette souplesse administrative est essentielle pour adapter l’organisation des services publics aux évolutions économiques, technologiques ou concurrentielles, notamment dans un secteur régulé au niveau européen.

Cette prérogative conférée au pouvoir réglementaire n’est cependant pas sans limites. Le gouvernement ne pourrait, par décret, modifier les principes fondamentaux du service universel postal qui, eux, demeurent dans le domaine de la loi. La décision encadre donc la liberté de l’exécutif : elle lui permet de choisir ou de changer l’instrument de la mission, mais non de redéfinir la mission elle-même. La portée de la décision est donc avant tout pragmatique, visant à une gestion plus agile de l’État sans altérer les garanties fondamentales fixées par le Parlement.

B. La dissociation entre la mission de service public et son prestataire

Sur un plan plus théorique, la décision entérine une distinction conceptuelle importante entre la pérennité d’une mission d’intérêt général et le caractère potentiellement interchangeable de l’entité qui en a la charge. En jugeant que le nom de l’opérateur est une mention de nature réglementaire, le Conseil constitutionnel signifie que l’identité du prestataire n’est pas un élément essentiel du service public lui-même. Le service universel postal existe et est défini par ses obligations fondamentales, indépendamment de l’entreprise spécifique qui l’exécute à un instant donné.

Cette approche confirme que la désignation d’un opérateur historique, même par la loi, ne lui confère pas un droit acquis à l’exécution perpétuelle de cette mission. L’État conserve la maîtrise de l’organisation de ses services publics et peut en modifier les modalités d’exécution pour des motifs d’intérêt général. En ce sens, la décision du Conseil constitutionnel apparaît comme une affirmation de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers d’un opérateur, fût-il historiquement lié à la mission qui lui a été confiée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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