Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-6432 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du défaut de dépôt d’un compte de campagne par un candidat à une élection législative. En l’espèce, un candidat aux élections qui se sont déroulées les 30 juin et 7 juillet 2024 dans la 5e circonscription de Paris a obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés. Bien qu’il n’ait pas atteint ce seuil, il n’a pas restitué à la préfecture les carnets de reçus-dons qui avaient été délivrés à son mandataire financier. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, constatant que le compte de campagne n’avait pas été déposé, a saisi le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article L. 52-15 du code électoral. Le candidat, régulièrement informé de la procédure, n’a produit aucune observation pour sa défense. Il revenait ainsi au juge de l’élection de déterminer si l’absence de restitution des carnets de reçus-dons par un candidat ayant obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés suffisait à caractériser une obligation de dépôt de compte de campagne, et si le manquement à cette obligation pouvait justifier le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative, considérant que la non-restitution des carnets fait naître une présomption de perception de dons, laquelle assujettit le candidat à l’obligation de déposer un compte. L’absence de dépôt, non justifiée par des circonstances particulières, constitue un manquement d’une particulière gravité justifiant une peine d’inéligibilité de trois ans.

Ainsi, il convient d’analyser la consécration d’une présomption de perception de dons liée à l’obligation de dépôt du compte de campagne (I), avant d’étudier la sanction rigoureuse d’un manquement jugé d’une particulière gravité (II).

I. LA PRÉSOMPTION DE PERCEPTION DE DONS, FONDEMENT DE L’OBLIGATION COMPTABLE

Le Conseil constitutionnel établit un lien de causalité entre la détention de documents comptables et l’obligation de rendre des comptes qui en découle. Pour ce faire, il recourt à une présomption simple que le candidat n’a pas réussi à renverser (A), ce qui suffit à caractériser un manquement à l’obligation de dépôt du compte de campagne (B).

A. L’établissement d’une présomption simple face au silence du candidat

En droit électoral, l’article L. 52-12 du code électoral impose le dépôt d’un compte de campagne aux candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou ayant bénéficié de dons de personnes physiques. En l’espèce, le candidat n’ayant pas atteint le seuil de 1 %, son assujettissement à cette obligation dépendait donc exclusivement de la perception de tels dons. Le Conseil constitutionnel, pour établir cette perception, se fonde sur un élément matériel : la non-restitution des carnets de reçus-dons. Il énonce que « L’absence de restitution par le candidat des carnets de reçus-dons fait présumer de la perception de dons de personnes physiques visées à l’article L. 52-8 ». Cette solution érige une présomption qui facilite la tâche du juge et de l’organe de contrôle. Faute de pouvoir matériellement prouver la réception effective d’un don, le juge déduit cette réception du simple fait que le candidat a conservé par-devers lui les outils permettant de les percevoir et d’en attester la régularité.

Le Conseil précise toutefois immédiatement la nature de cette présomption en indiquant qu’elle « peut être combattue par tous moyens ». Il s’agit donc d’une présomption simple, et non irréfragable. Le candidat conservait la possibilité de prouver, par exemple par une attestation sur l’honneur ou la production des carnets vierges, qu’il n’avait en réalité collecté aucun fonds. Or, le juge de l’élection constate que le candidat « n’a, en l’espèce, produit aucun justificatif de nature à la renverser ». Son silence et son inaction durant la procédure ont donc eu pour effet de consolider la présomption initialement établie, la rendant de fait incontestable dans le cadre du litige.

B. Le manquement caractérisé à l’obligation de dépôt du compte

Une fois la perception de dons établie par le jeu de la présomption, l’obligation de déposer un compte de campagne devenait certaine. Le candidat se trouvait dans la même situation juridique qu’un candidat ayant franchi le seuil de 1 % des suffrages exprimés. Le non-respect de cette obligation constitue une violation directe des dispositions de l’article L. 52-12 du code électoral, qui fixe le dépôt au plus tard le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin. Le Conseil constitutionnel relève sobrement ce manquement, qui découle logiquement du raisonnement tenu précédemment.

De plus, le juge recherche systématiquement si des éléments extérieurs pourraient excuser la défaillance du candidat. La jurisprudence admet que certaines « circonstances particulières » peuvent justifier la méconnaissance des obligations relatives aux comptes de campagne, comme une hospitalisation ou un cas de force majeure. Cependant, en l’espèce, le Conseil écarte cette possibilité en relevant qu’« Il ne résulte pas de l’instruction que des circonstances particulières étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations résultant de l’article L. 52-12 ». L’absence de toute diligence ou explication de la part du candidat a rendu impossible toute forme de clémence, laissant le juge face à un manquement pur et simple à une obligation légale essentielle.

II. LA SANCTION DE L’INÉLIGIBILITÉ, GARANTIE DE LA TRANSPARENCE DU FINANCEMENT POLITIQUE

La caractérisation du manquement conduit le Conseil constitutionnel à prononcer une sanction sévère, réaffirmant ainsi l’importance des règles de financement des campagnes électorales. Cette décision s’explique par la qualification du manquement (A) et illustre la portée pédagogique d’une sanction se voulant exemplaire (B).

A. La qualification d’un manquement d’une particulière gravité

Le prononcé d’une peine d’inéligibilité n’est pas automatique en cas de manquement à la législation sur les comptes de campagne. Le juge doit moduler sa réponse en fonction de la nature et de la gravité de l’irrégularité. En l’espèce, le Conseil constitutionnel estime que le défaut de dépôt du compte constitue un manquement d’une particulière gravité. Il décide qu’« il y a lieu de prononcer l’inéligibilité de M. BASSIL à tout mandat pour une durée de trois ans ». La sévérité de cette appréciation peut surprendre s’agissant d’un candidat ayant réalisé un score très faible et pour lequel les enjeux financiers étaient vraisemblablement minimes.

Toutefois, la gravité ne s’apprécie pas au regard des sommes potentiellement engagées, mais au regard de la nature de l’obligation violée. Le dépôt d’un compte est la pierre angulaire du système de contrôle du financement politique. Son absence rend impossible toute vérification de l’origine des recettes et de la nature des dépenses, créant une opacité totale qui est l’antithèse des objectifs de transparence poursuivis par le législateur. En refusant de se soumettre à ce contrôle minimal, le candidat porte atteinte à l’un des principes fondamentaux du droit électoral. C’est cette atteinte au principe même de transparence, plus que la fraude avérée, que le Conseil constitutionnel sanctionne avec une telle rigueur.

B. La portée pédagogique d’une sanction exemplaire

En prononçant une peine de trois ans d’inéligibilité, le Conseil constitutionnel adresse un message clair à l’ensemble des candidats, y compris les plus modestes. La décision rappelle que nul ne peut s’affranchir des obligations comptables, quel que soit son poids électoral. La solution retenue a une vertu dissuasive. Elle prévient les comportements qui consisteraient, pour des candidats convaincus de leur faible score, à négliger délibérément leurs obligations en matière de financement, notamment en ce qui concerne la collecte de dons. Le juge de l’élection montre qu’il n’existe pas de « petits » manquements lorsque les principes essentiels de la vie démocratique sont en jeu.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel qui se montre particulièrement strict sur le respect des règles de forme encadrant les comptes de campagne. En faisant de la simple détention des carnets de reçus-dons l’élément déclencheur de l’obligation de dépôt, et en sanctionnant lourdement son non-respect, le juge renforce l’effectivité du contrôle. Il démontre que la rigueur procédurale est la meilleure garantie de la sincérité du scrutin et de l’égalité entre les candidats devant les règles de financement de la vie politique. La sanction, bien que visant un candidat individuel, a donc une portée générale destinée à assurer la discipline collective.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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