Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-6435 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la sanction applicable à un candidat à une élection législative pour défaut de dépôt de son compte de campagne. En l’espèce, un candidat ayant recueilli plus de 1 % des suffrages exprimés lors du scrutin n’avait pas transmis son compte de campagne à l’autorité administrative compétente dans le délai légal expirant le dixième vendredi suivant le premier tour. Saisi par l’autorité de contrôle des comptes de campagne, le juge électoral a examiné la situation de l’intéressé. Ce dernier faisait valoir pour sa défense qu’il avait cru à tort ne pas être soumis à cette obligation, au motif qu’il ne pouvait prétendre au remboursement de ses frais de campagne. Il se posait dès lors au Conseil constitutionnel la question de savoir si l’erreur de droit invoquée par un candidat pouvait constituer une circonstance atténuante justifiant la méconnaissance de ses obligations comptables et faire ainsi obstacle au prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le juge a répondu par la négative, estimant que ce manquement était d’une particulière gravité, et a prononcé une sanction d’inéligibilité pour une durée de trois ans, affirmant une interprétation stricte des règles de financement politique.

L’analyse de cette décision révèle d’abord la rigueur avec laquelle le juge électoral apprécie le respect des formalités comptables (I), avant de souligner la portée d’une sanction qui se veut exemplaire face à tout manquement substantiel aux exigences de la transparence démocratique (II).

I. La caractérisation d’un manquement grave aux obligations de transparence financière

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur une appréciation stricte de l’obligation de dépôt du compte de campagne (A), en refusant de considérer l’erreur du candidat comme une excuse recevable (B).

A. Le caractère impératif de l’obligation de dépôt du compte

La décision rappelle utilement le cadre légal qui régit la matière, en visant l’article L. 52-12 du code électoral. Ce texte impose à tout candidat ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés l’établissement d’un compte de campagne retraçant l’ensemble des recettes perçues et des dépenses engagées. Cette obligation constitue un pilier de la transparence de la vie politique, permettant de contrôler l’origine des financements et le respect du plafond des dépenses électorales. Le juge constitutionnel constate sobrement que le candidat, remplissant la condition de seuil électoral, n’a pas respecté le délai de dépôt impératif fixé par la loi. Le manquement est ainsi matériellement et incontestablement établi, la simple omission suffisant à déclencher la compétence du juge. La solution démontre que cette formalité n’est pas une simple faculté laissée à la discrétion du candidat, mais une obligation substantielle dont la méconnaissance suffit à engager sa responsabilité.

B. Le rejet de l’erreur de droit comme circonstance justificative

Face à ce constat, le candidat opposait une justification tirée de sa propre méprise sur l’étendue de ses obligations. Il soutenait avoir « pensé à tort, sans aucune volonté de dissimulation, qu’il n’avait pas à déposer de compte de campagne, dès lors qu’il ne pouvait pas obtenir le remboursement de ses frais ». L’argument est balayé sans détour par le Conseil constitutionnel. Ce dernier considère qu’« il ne résulte pas de l’instruction que cette circonstance ni aucune autre circonstance particulière étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations résultant de l’article L. 52-12 ». Cette motivation, lapidaire mais précise, confirme une jurisprudence constante selon laquelle l’erreur de droit est, en principe, indifférente en matière de contentieux électoral. La bonne foi ou l’absence d’intention frauduleuse est inopérante pour effacer le manquement objectif. Le juge signifie ainsi que tout candidat à une élection a le devoir de se renseigner sur les règles qui la gouvernent, et ne saurait se prévaloir de sa propre ignorance pour échapper à ses responsabilités.

II. Le prononcé d’une sanction proportionnée à l’enjeu démocratique

La qualification du manquement permet au juge de prononcer une sanction d’inéligibilité d’une sévérité notable (A), réaffirmant par là même la fonction préventive et dissuasive du contrôle des comptes de campagne (B).

A. L’appréciation d’une particulière gravité justifiant l’inéligibilité

Le prononcé d’une peine d’inéligibilité est subordonné, en vertu de l’article L.O. 136-1 du code électoral, à l’existence d’une « volonté de fraude ou [d’un] manquement d’une particulière gravité ». En l’absence de fraude démontrée, le Conseil devait donc motiver cette particulière gravité. Il la déduit implicitement mais nécessairement de la nature même de l’obligation méconnue. Le défaut total de dépôt d’un compte de campagne empêche tout contrôle de la part de l’autorité compétente et du juge, créant une opacité complète sur le financement de la campagne. Un tel manquement porte une atteinte directe et fondamentale aux principes de transparence et d’égalité entre les candidats. En qualifiant cette omission de « particulière gravité », le juge électoral confirme que le simple fait de se soustraire entièrement au contrôle financier constitue en soi une faute majeure, justifiant la sanction la plus lourde prévue par la loi organique.

B. La portée dissuasive de la sanction

En déclarant le candidat inéligible « à tout mandat pour une durée de trois ans », le Conseil constitutionnel use de son pouvoir de modulation de la sanction. La peine, fixée à trois ans, est significative et vise à produire un effet dissuasif à l’égard de tous les futurs candidats. La décision constitue un rappel sévère de l’importance attachée au respect scrupuleux des règles du jeu démocratique. Elle indique que le contrôle du financement politique n’est pas une simple vérification comptable, mais une garantie essentielle de la sincérité du scrutin et de la confiance des citoyens dans leurs élus. Par sa portée, cet arrêt, bien qu’il soit une décision d’espèce, s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui tend à renforcer l’éthique de la vie publique en sanctionnant fermement toute défaillance qui, même sans intention malveillante avérée, compromet les fondements de la régularité électorale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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