Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-6455 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur les conséquences du non-respect d’une règle fondamentale du financement des campagnes électorales, à savoir l’obligation pour le mandataire financier d’un candidat d’ouvrir un compte bancaire unique.

En l’espèce, une candidate aux élections législatives n’a pas satisfait à cette exigence. Son mandataire financier n’a pas ouvert le compte bancaire unique destiné à retracer l’ensemble des opérations financières de la campagne. Faisant application des dispositions du code électoral, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, par une décision du 20 janvier 2025, rejeté le compte de campagne de l’intéressée. La commission a ensuite saisi le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur une éventuelle sanction d’inéligibilité à l’encontre de la candidate. Bien que régulièrement informée de la procédure, cette dernière n’a pas produit d’observations en défense.

Le problème de droit soumis au Conseil constitutionnel était donc de déterminer si l’absence d’ouverture d’un compte bancaire de campagne unique constitue un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, susceptible de justifier le prononcé d’une peine d’inéligibilité à l’encontre du candidat.

Le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative. Après avoir constaté que le compte de campagne avait été rejeté « à bon droit » par la commission, il juge qu’« eu égard à la particulière gravité du manquement à une règle dont [la candidate] ne pouvait ignorer la portée, il y a lieu de prononcer son inéligibilité à tout mandat pour une durée d’un an ».

Cette décision, qui s’inscrit dans une jurisprudence constante, vient rappeler avec fermeté le caractère substantiel des obligations relatives à la transparence financière des campagnes électorales (I), tout en confirmant la rigueur avec laquelle le juge électoral apprécie la responsabilité personnelle du candidat en la matière (II).

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I. Le caractère substantiel de l’obligation d’ouverture d’un compte bancaire unique

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur la violation d’une formalité qu’il juge essentielle à la régularité d’une campagne électorale. L’exigence d’un compte bancaire unique est en effet la pierre angulaire du dispositif de contrôle du financement politique (A), dont l’absence entraîne nécessairement le rejet du compte (B).

A. Une exigence au service de la transparence financière

L’article L. 52-6 du code électoral impose au mandataire financier l’ouverture d’un « compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières ». Cette obligation n’est pas une simple formalité administrative, mais bien une garantie fondamentale visant à assurer la transparence et la traçabilité des flux financiers liés à une élection. Elle permet de s’assurer que l’ensemble des recettes et des dépenses du candidat transitent par un support unique, clairement identifiable et distinct de son patrimoine personnel ou de celui de son mandataire.

Ce mécanisme est indispensable au contrôle exercé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Il constitue le support matériel essentiel à la vérification du respect des autres règles de financement, telles que l’origine des dons, l’identité des donateurs, et surtout, le respect du plafond des dépenses électorales. L’absence d’un tel compte rend en pratique tout contrôle sérieux impossible, puisqu’elle crée une opacité totale sur les mouvements de fonds.

B. Un manquement entraînant le rejet de plein droit du compte

Face à la violation d’une règle aussi centrale, la sanction administrative apparaît inéluctable. Le Conseil constitutionnel confirme que la commission de contrôle était fondée à invalider les comptes de la candidate. Il relève ainsi que la circonstance de l’absence de compte bancaire « est établie » et que, par conséquent, « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne ».

Cette formulation révèle l’absence de marge d’appréciation à ce stade de la procédure. Dès lors que le manquement est matériellement constaté, le rejet s’impose. Il ne s’agit pas d’apprécier la bonne ou la mauvaise foi de la candidate, ni l’impact concret du manquement sur le scrutin. La seule absence de l’instrument de contrôle suffit à vicier l’ensemble du compte, qui ne peut dès lors être approuvé, privant ainsi la candidate de tout droit au remboursement de ses frais de campagne par l’État.

Si le rejet du compte est la conséquence directe et automatique du manquement, la question de la sanction personnelle de la candidate relève, quant à elle, de l’appréciation souveraine du juge constitutionnel. Celui-ci procède alors à une analyse distincte, centrée non plus sur la régularité comptable, mais sur la responsabilité du candidat.

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II. L’appréciation rigoureuse de la responsabilité personnelle du candidat

Le Conseil constitutionnel ne se contente pas de valider le rejet du compte ; il prononce une sanction personnelle d’inéligibilité. Pour ce faire, il se livre à une appréciation souveraine de la gravité du manquement (A), adressant par là même un avertissement à portée pédagogique à l’ensemble des acteurs politiques (B).

A. La caractérisation d’un manquement d’une particulière gravité

En application de l’article L.O. 136-1 du code électoral, le prononcé d’une peine d’inéligibilité est subordonné à l’existence d’une « volonté de fraude ou d’un manquement d’une particulière gravité ». En l’absence d’éléments attestant d’une intention frauduleuse, le Conseil s’attache à qualifier la gravité du manquement. Il la déduit du fait que la candidate « ne pouvait ignorer la portée » de la règle violée.

Cette motivation est déterminante. Elle établit une forme de présomption de connaissance des règles électorales fondamentales qui pèse sur toute personne se présentant à un mandat national. L’obligation d’ouvrir un compte bancaire de campagne est considérée comme si essentielle et élémentaire que son ignorance ou sa négligence est jugée inexcusable. Le juge constitutionnel estime que la candidate, par son seul statut, avait le devoir de s’assurer du respect de cette prescription centrale, et que son manquement engage directement sa responsabilité personnelle.

La gravité n’est donc pas évaluée au regard d’un éventuel avantage électoral obtenu, mais au regard de la nature de l’obligation transgressée. Le Conseil constitutionnel juge ainsi que la défaillance à une règle structurante du financement électoral constitue en soi un manquement d’une particulière gravité.

B. Une sanction à la portée préventive et pédagogique

En déclarant la candidate inéligible pour une durée d’un an, le Conseil constitutionnel module sa sanction. Il ne retient pas la durée maximale de trois ans, ce qui suggère une appréciation proportionnée à la nature de la faute, qui reste une omission et non un acte de fraude active. Néanmoins, la sanction demeure significative et a une portée qui dépasse le cas d’espèce.

Cette décision constitue un rappel ferme de l’intransigeance du juge électoral vis-à-vis des règles de transparence financière. Elle vise à dissuader les futurs candidats de toute négligence dans la gestion de leurs comptes. Le message est clair : le respect scrupuleux des obligations comptables n’est pas une option, mais une condition sine qua non de la participation à la vie démocratique. En sanctionnant de la sorte un manquement qui peut paraître purement formel, le Conseil constitutionnel réaffirme que la confiance des citoyens dans le processus électoral repose sur une transparence financière irréprochable et une égalité des armes entre les candidats, dont le compte de campagne unique est le principal garant.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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