Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la situation d’une candidate à une élection législative au regard de ses obligations en matière de financement politique. En l’espèce, une candidate qui avait obtenu un score inférieur à 1 % des suffrages exprimés n’avait pas déposé son compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Normalement dispensée de cette obligation en raison de son faible résultat, la candidate n’avait cependant pas restitué les carnets de reçus-dons qui lui avaient été délivrés par la préfecture, un élément matériel susceptible d’indiquer la perception de financements privés. Saisie par la commission, la haute juridiction a dû examiner les conséquences de ce double manquement. Il s’agissait donc pour le Conseil constitutionnel de déterminer si l’absence de restitution des carnets de reçus-dons suffisait à faire naître une obligation de dépôt de compte pour un candidat ayant obtenu moins de 1 % des voix. Il lui fallait ensuite décider si le manquement à cette obligation était d’une gravité telle qu’il pouvait justifier une sanction d’inéligibilité. Le Conseil a répondu par l’affirmative à ces deux questions, considérant que la non-restitution des carnets faisait peser sur la candidate une présomption de perception de dons, l’obligeant de ce fait à déposer un compte. Le défaut de dépôt, non justifié par des circonstances particulières, a été jugé comme un manquement d’une particulière gravité, entraînant le prononcé d’une peine d’inéligibilité de trois ans. La décision illustre la rigueur avec laquelle le juge électoral appréhende les obligations déclaratives des candidats (I), réaffirmant la portée d’une sanction destinée à garantir la transparence du financement politique (II).
I. La consolidation d’une obligation déclarative étendue
Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur une interprétation stricte des obligations qui incombent aux candidats, en liant la formalité de restitution des documents de campagne à une présomption de perception de recettes (A), ce qui caractérise un manquement justifiant l’intervention du juge électoral (B).
A. La présomption de perception de dons liée à la non-restitution des carnets
L’article L. 52-12 du code électoral conditionne l’obligation de déposer un compte de campagne soit à l’obtention d’au moins 1 % des suffrages exprimés, soit au bénéfice de dons de personnes physiques. Dans le cas présent, la candidate n’ayant pas atteint ce seuil électoral, seule la seconde condition pouvait l’astreindre à cette formalité. Le Conseil constitutionnel établit ici une mécanique probatoire claire en affirmant que « l’absence de restitution par le candidat des carnets de reçus-dons fait présumer de la perception de dons de personnes physiques ». Cette présomption, bien que simple, déplace la charge de la preuve sur le candidat. Il lui appartient de démontrer, par tous moyens, qu’il n’a pas perçu de dons, malgré le fait qu’il n’ait pas retourné les carnets de reçus. Le juge constate que cette présomption peut être « combattue par tous moyens », mais relève aussitôt que l’intéressée « n’a, en l’espèce, produit aucun justificatif de nature à la renverser ». L’absence de preuve contraire apportée par la candidate rend donc la présomption irréfragable dans les faits de l’espèce et établit fermement son obligation de déposer un compte de campagne.
B. La qualification du manquement en l’absence de circonstances atténuantes
Une fois l’obligation de dépôt du compte de campagne établie, le Conseil constitutionnel examine la nature du manquement constitué par l’absence de ce dépôt. Conformément à l’article L.O. 136-1 du code électoral, une sanction d’inéligibilité peut être prononcée en cas de « manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ». Le juge ne se contente pas de constater l’omission déclarative ; il en évalue la gravité. Pour ce faire, il recherche si des éléments extérieurs auraient pu excuser ou expliquer ce manquement. Or, il ressort de la décision qu’il « ne résulte pas de l’instruction que des circonstances particulières étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations résultant de l’article L. 52-12 ». Cette formule, classique dans le contentieux électoral, signifie que ni un cas de force majeure, ni une erreur excusable n’ont été invoqués ou démontrés par la candidate. L’absence de toute justification confère ainsi au manquement la « particulière gravité » requise par la loi organique, ouvrant la voie au prononcé d’une sanction par le juge.
II. La portée réaffirmée de la sanction en matière de financement politique
La décision ne se limite pas à une application technique du droit électoral ; elle constitue un rappel de la finalité protectrice des règles de financement (A) et de la fonction dissuasive de la sanction d’inéligibilité (B).
A. Une solution au service de la transparence de la vie politique
En établissant une présomption de perception de dons à partir d’un simple manquement administratif, le Conseil constitutionnel adopte une position pragmatique et protectrice de l’ordre public. Cette solution prévient en effet toute tentative de contournement des règles de transparence. Un candidat pourrait être tenté de ne pas restituer ses carnets tout en s’abstenant de déclarer un compte, créant une zone d’opacité sur ses financements. La présomption posée par le juge anéantit cette stratégie potentielle et contraint chaque candidat à une gestion rigoureuse des documents qui lui sont confiés. La décision renforce l’idée que les obligations formelles en matière de financement électoral ne sont pas de simples contraintes administratives, mais des garanties fondamentales pour assurer l’égalité entre les candidats et la sincérité du processus démocratique. En exigeant une traçabilité parfaite des flux financiers potentiels, le juge constitutionnel réaffirme que la transparence est une condition essentielle de la confiance des citoyens dans leurs élus.
B. La fonction pédagogique d’une sanction rigoureuse
Au-delà de son aspect punitif, la sanction prononcée revêt une dimension pédagogique. En déclarant la candidate « inéligible […] pour une durée de trois ans », le Conseil constitutionnel adresse un message clair à l’ensemble des acteurs politiques. La durée de trois ans n’est pas anodine ; elle est suffisamment longue pour être véritablement dissuasive et pour marquer la gravité du manquement aux yeux de l’opinion publique. Bien que rendue dans une affaire qui pourrait sembler mineure en raison du faible score de la candidate et de l’absence de preuve de dons effectivement perçus, la décision a une portée générale. Elle rappelle à tous les candidats, y compris ceux engagés dans des campagnes modestes, que le respect scrupuleux des règles de financement est impératif et que la négligence administrative dans ce domaine peut entraîner des conséquences politiques lourdes. La solution confirme ainsi que le juge électoral entend faire prévaloir une conception exigeante de la probité, où chaque manquement, quel qu’en soit le montant financier apparent, est susceptible d’être sanctionné afin de préserver l’intégrité du débat démocratique.