Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-6473 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du rejet du compte de campagne d’une candidate à une élection législative, saisie par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. En l’espèce, une candidate s’était présentée aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. À la suite du scrutin, son compte de campagne a été rejeté par la commission de contrôle au motif que son mandataire financier n’avait pas procédé à l’ouverture d’un compte bancaire unique destiné à retracer les opérations financières, en méconnaissance des dispositions du code électoral. La commission a alors saisi le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur une éventuelle inéligibilité de la candidate. Devant le juge de l’élection, l’intéressée a tenté de justifier ce manquement en invoquant des refus opposés par plusieurs établissements bancaires et en affirmant avoir sollicité l’intervention de la Banque de France. Il revenait donc au Conseil constitutionnel de déterminer si l’absence d’ouverture d’un compte bancaire de campagne unique, imputable à un manque de diligence de la part de la candidate, est constitutive d’un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité. À cette question, le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative. Il constate que le manquement est établi, puis écarte les justifications de la candidate en relevant que l’échec des démarches est dû à son « manque de diligence à fournir les documents exigés ». Le juge en conclut qu’il s’agit d’un manquement d’une « particulière gravité » et prononce en conséquence une sanction d’inéligibilité à tout mandat pour une durée d’un an.

I – La confirmation d’une application rigoureuse des obligations de financement électoral

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur une application stricte des règles encadrant le financement des campagnes, en rappelant d’abord le caractère essentiel de l’obligation d’ouvrir un compte unique (A), avant de retenir la responsabilité personnelle de la candidate dans la défaillance constatée (B).

A. Le caractère substantiel de l’obligation d’ouverture d’un compte de campagne unique

La décision commentée s’appuie sur les dispositions de l’article L. 52-6 du code électoral, qui imposent au mandataire financier l’ouverture d’un compte bancaire ou postal unique destiné à retracer l’intégralité des opérations. Le Conseil constitutionnel se borne à constater que cette formalité n’a pas été respectée, relevant de manière factuelle que le mandataire financier « n’avait pas ouvert de compte bancaire ». Cette obligation n’est pas un simple accessoire procédural, mais constitue la pierre angulaire du dispositif de contrôle des financements politiques. C’est par le truchement de ce compte unique que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques peut exercer sa mission de vérification de l’origine des recettes et de la nature des dépenses. L’absence d’un tel compte rend matériellement impossible tout contrôle effectif et prive de substance les principes de transparence et d’égalité entre les candidats qui gouvernent le droit électoral. En confirmant le rejet du compte opéré par la commission, le juge constitutionnel réaffirme que cette exigence est une condition fondamentale de la régularité d’un compte de campagne.

B. L’imputabilité du manquement à la diligence de la candidate

Face à ce manquement, la candidate a tenté d’invoquer des causes qui lui seraient extérieures, notamment le refus de plusieurs banques de lui ouvrir un compte. Cependant, le Conseil constitutionnel écarte cette argumentation avec fermeté. Il ne conteste pas les difficultés rencontrées, mais il analyse les raisons de l’échec de la procédure de droit au compte auprès de la Banque de France. Il ressort ainsi des pièces du dossier que cet échec est « imputable à un manque de diligence à fournir les documents exigés ». Ce faisant, le juge de l’élection refuse de considérer les obstacles matériels comme une excuse absolutoire et ramène la responsabilité de la situation à la candidate elle-même. Cette dernière est garante du bon accomplissement des diligences requises pour le financement de sa campagne, y compris de celles qui incombent à son mandataire. La décision souligne ainsi que le candidat ne saurait se décharger de ses obligations en invoquant des difficultés pratiques s’il n’est pas en mesure de prouver avoir accompli toutes les démarches nécessaires avec la rigueur et la célérité attendues.

II – La caractérisation d’un manquement justifiant une sanction d’inéligibilité

Après avoir établi l’existence d’une faute imputable à la candidate, le Conseil constitutionnel procède à sa qualification pour en tirer les conséquences sur le terrain de l’inéligibilité. Il qualifie le manquement de « particulière gravité » (A), ce qui lui permet de prononcer une sanction qu’il mesure dans sa portée (B).

A. La qualification d’un manquement d’une particulière gravité

En application de l’article L.O. 136-1 du code électoral, le prononcé d’une inéligibilité suppose soit une « volonté de fraude », soit un « manquement d’une particulière gravité aux règles de financement ». En l’espèce, le Conseil constitutionnel ne retient pas l’intention frauduleuse mais se fonde sur la seconde alternative. La gravité du manquement ne découle pas d’une dissimulation de fonds ou d’un dépassement de plafond, mais de l’impossibilité structurelle de procéder à toute vérification. L’absence de compte bancaire unique constitue une violation qui anéantit l’ensemble du mécanisme de contrôle. En qualifiant ce fait de « particulière gravité », le Conseil constitutionnel envoie un signal clair : les règles fondamentales de procédure qui conditionnent la transparence financière ne sauraient être considérées comme secondaires. Le manquement n’est pas jugé sur son impact financier quantifiable, mais sur l’atteinte qu’il porte au système lui-même. La défaillance de la candidate a ainsi empêché l’autorité de contrôle d’exercer sa mission, ce qui suffit à caractériser la gravité requise par la loi organique.

B. Le prononcé d’une sanction proportionnée à la défaillance

Tirant les conséquences de cette qualification, le Conseil constitutionnel déclare la candidate inéligible « à tout mandat pour une durée d’un an ». La portée de cette décision est avant tout pédagogique et dissuasive. Elle rappelle à tous les candidats que la désignation d’un mandataire financier ne suffit pas et que le respect scrupuleux de l’ensemble des obligations formelles, notamment l’ouverture d’un compte dédié, est impératif. La durée d’un an, qui n’est pas la plus sévère que le Conseil aurait pu prononcer, apparaît proportionnée à la nature de la faute. La sanction ne punit pas un enrichissement ou une fraude avérée, mais une négligence grave ayant fait obstacle au contrôle. En fixant cette peine, le juge constitutionnel établit un équilibre entre la nécessité de sanctionner une atteinte sérieuse aux principes de la démocratie électorale et l’absence d’intention malveillante démontrée. Cette décision illustre ainsi une jurisprudence constante et rigoureuse visant à garantir la probité et la transparence du financement de la vie politique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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