Par une décision du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du dépôt tardif d’un compte de campagne par un candidat à une élection législative. En l’espèce, un candidat ayant obtenu plus de 1 % des suffrages exprimés lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 était tenu de déposer un compte de campagne avant le 6 septembre 2024 à 18 heures. Constatant que ce dépôt n’avait été effectué que le 14 septembre 2024, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi le Conseil constitutionnel. Le candidat a, pour sa défense, affirmé avoir transmis son compte dès le 3 août 2024, sans toutefois être en mesure de produire une quelconque preuve à l’appui de ses dires. Se posait donc au juge constitutionnel la question de savoir si le non-respect du délai légal de dépôt du compte de campagne, en l’absence de justification probante, constitue un manquement d’une gravité suffisante pour justifier le prononcé d’une sanction d’inéligibilité. En réponse, le Conseil constitutionnel a considéré que le manquement était établi et revêtait une particulière gravité, le conduisant à déclarer le candidat inéligible pour une durée d’un an.
Cette décision illustre avec clarté la rigueur avec laquelle le juge électoral apprécie les obligations relatives à la transparence financière des campagnes. Il convient ainsi d’analyser la caractérisation d’un manquement objectif aux règles de financement (I), avant d’étudier l’exercice du pouvoir modérateur du juge dans le prononcé de la sanction (II).
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I. La caractérisation d’un manquement objectif aux règles de financement
Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur une appréciation stricte des obligations du candidat, en constatant d’abord l’inobservation formelle du délai impératif de dépôt (A), puis en soulignant l’inefficacité d’une défense dépourvue de force probante (B).
A. L’inobservation formelle du délai impératif de dépôt
L’article L. 52-12 du code électoral impose à tout candidat ayant atteint un certain seuil de suffrages de déposer un compte de campagne auprès de l’organe de contrôle. Cette obligation est assortie d’un délai précis et impératif, dont le respect conditionne la régularité du processus de vérification des dépenses et des recettes électorales. En l’espèce, le juge relève de manière factuelle que « Le délai pour déposer son compte de campagne expirait le 6 septembre 2024 à 18 heures. Or il a déposé son compte de campagne le 14 septembre 2024, soit après l’expiration de ce délai ». La seule constatation matérielle du retard suffit à constituer le manquement, sans qu’il soit nécessaire de rechercher une quelconque intentionnalité à ce stade de l’analyse. Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’égalité de traitement entre tous les candidats, en érigeant la date limite en critère objectif et incontestable. Le respect des délais est en effet essentiel au bon déroulement de la mission de la Commission, qui doit pouvoir examiner les comptes dans un calendrier contraint pour statuer sur leur validation et sur le remboursement des dépenses de campagne.
B. L’inefficacité d’une défense dépourvue de force probante
Face au manquement matériellement constaté, le candidat a tenté de justifier sa situation en invoquant un envoi antérieur à la date limite. Cependant, le Conseil constitutionnel écarte cet argument de manière péremptoire, en relevant qu’il « ne produit aucun document permettant d’attester cet envoi ». Cette formule met en lumière un principe fondamental de la procédure contentieuse : la charge de la preuve pèse sur celui qui allègue un fait. Il n’appartient pas au juge ou à la Commission de rechercher les preuves qui pourraient disculper le candidat, mais bien à ce dernier de démontrer sa diligence. Une simple affirmation, aussi sincère soit-elle, est juridiquement inopérante si elle n’est pas étayée par des éléments matériels concrets, tels qu’un récépissé de dépôt ou un avis d’expédition. En refusant de prendre en considération une défense non prouvée, le juge constitutionnel préserve la rigueur du contrôle et prévient le risque de manœuvres dilatoires qui paralyseraient le système. La bonne foi ne se présume pas au point de renverser l’évidence d’un dépôt tardif.
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II. L’exercice du pouvoir modérateur du juge dans le prononcé de la sanction
Une fois le manquement établi, il revenait au Conseil constitutionnel de déterminer la sanction appropriée, ce qu’il a fait en usant de son pouvoir d’appréciation quant à la gravité du manquement (A) et en veillant à la proportionnalité de la sanction d’inéligibilité finalement retenue (B).
A. L’appréciation souveraine de la particulière gravité du manquement
L’article L.O. 136-1 du code électoral n’automatise pas la sanction de l’inéligibilité en cas de dépôt tardif, mais la conditionne à l’existence d’une « volonté de fraude ou d’un manquement d’une particulière gravité ». En l’absence de fraude démontrée, le Conseil a dû se prononcer sur le degré de gravité du manquement. Il conclut qu’il y a lieu de sanctionner « compte tenu de la particulière gravité de ce manquement ». En qualifiant ainsi un retard de huit jours, le juge envoie un signal fort sur l’importance qu’il attache au respect scrupuleux des formalités du financement politique. Ce qui pourrait apparaître comme une simple négligence administrative est interprété comme une atteinte substantielle aux principes de transparence et de sincérité des comptes. Cette appréciation souveraine permet au juge d’adapter sa réponse à la nature de l’infraction, mais il affirme ici que le non-respect d’un délai impératif, sans justification valable, suffit en soi à constituer cette particulière gravité, car il fausse les opérations de contrôle dans leur ensemble.
B. La proportionnalité de la sanction d’inéligibilité
Ayant qualifié la faute, le Conseil constitutionnel devait encore fixer le quantum de la peine. En application de l’article L.O. 136-1, il « peut déclarer inéligible le candidat ». En l’espèce, il décide de prononcer « l’inéligibilité de M. MINOT à tout mandat pour une durée d’un an ». Le choix de cette durée relève de son pouvoir modérateur et témoigne d’une recherche de proportionnalité. Une année d’inéligibilité est une sanction sévère et dissuasive, qui prive l’élu de son droit de se présenter à toute élection. Toutefois, elle reste mesurée au regard de la durée maximale de trois ans encourue pour des faits de cette nature. Par cette décision, le juge constitutionnel calibre la sanction en tenant compte de l’absence de fraude avérée, tout en affirmant avec fermeté que les règles de forme encadrant le financement des campagnes électorales ne sont pas de simples suggestions mais des obligations substantielles dont la violation emporte des conséquences rigoureuses.