Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-6492 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du non-respect d’une règle substantielle du financement des campagnes électorales. En l’espèce, un candidat aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 a vu son compte de campagne rejeté par une décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du 3 février 2025. Le motif de ce rejet résidait dans le fait que le mandataire financier du candidat n’avait pas ouvert de compte bancaire unique destiné à retracer les opérations financières de la campagne, en violation des dispositions du code électoral. Saisie par la commission, le Conseil constitutionnel était appelé à se prononcer sur l’éventuelle inéligibilité du candidat. Le problème de droit soumis au juge électoral était donc de déterminer si l’absence d’ouverture d’un compte bancaire de campagne constituait un manquement d’une gravité telle qu’elle justifiait, au-delà du rejet du compte, le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel a validé le rejet du compte et a prononcé une sanction d’inéligibilité pour une durée d’un an, considérant que ce manquement était d’une « particulière gravité » et que le candidat « ne pouvait ignorer la portée » de la règle méconnue.

La décision illustre ainsi la rigueur avec laquelle le juge électoral apprécie les obligations de transparence financière (I), ce qui le conduit à prononcer une sanction sévère mais mesurée (II).

I. La confirmation rigoureuse du manquement aux obligations de transparence financière

Le Conseil constitutionnel confirme la décision de rejet du compte de campagne en s’appuyant sur le caractère intangible de l’obligation d’ouvrir un compte bancaire dédié (A), ce qui rend le rejet du compte inévitable en cas de manquement (B).

A. Le caractère substantiel de l’obligation d’ouvrir un compte bancaire unique

Le financement de la vie politique française repose sur des principes de transparence et de traçabilité des flux financiers, dont le compte bancaire unique est la pierre angulaire. L’article L. 52-6 du code électoral impose en effet au mandataire financier du candidat « d’ouvrir un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières ». Cette exigence n’est pas une simple formalité procédurale, mais une condition substantielle de la régularité de la campagne. C’est par le truchement de ce compte que l’ensemble des recettes et des dépenses peuvent être centralisées, vérifiées et contrôlées, d’abord par le candidat et son expert-comptable, puis par la Commission nationale des comptes de campagne.

En l’espèce, l’absence de ce compte a privé l’organe de contrôle de son principal outil de vérification. Sans les relevés bancaires qui en découlent, il devient impossible de s’assurer de l’origine des fonds perçus, de la nature des dépenses engagées et du respect global des règles de financement. La décision du Conseil constitutionnel, en se fondant sur cette absence, réaffirme que cette obligation est au cœur du dispositif de contrôle et que sa méconnaissance vicie fondamentalement la sincérité du compte.

B. La conséquence automatique du rejet du compte

Face à la violation constatée de l’article L. 52-6 du code électoral, le Conseil constitutionnel ne pouvait que confirmer l’analyse de la commission. Le juge constate sobrement que « Cette circonstance est établie. Par suite, c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne ». Cette formulation révèle l’absence de marge d’appréciation à ce stade du raisonnement. Le manquement étant matériellement constitué, et portant sur une obligation essentielle, le rejet du compte s’imposait logiquement.

Le Conseil n’examine à ce niveau ni la bonne ou mauvaise foi du candidat, ni l’ampleur des sommes qui auraient transité hors de tout contrôle. La seule absence du réceptacle financier prévu par la loi suffit à rendre le compte irrégulier dans son ensemble. Cette approche objective garantit une application stricte et uniforme de la loi, en signifiant que toute tentative de contourner cette exigence centrale, volontaire ou non, aboutit nécessairement à l’invalidation des comptes.

Le rejet du compte étant ainsi confirmé, la voie était ouverte pour l’examen d’une éventuelle sanction personnelle à l’encontre du candidat.

II. La caractérisation d’un manquement justifiant une sanction d’inéligibilité

Le Conseil constitutionnel ne se contente pas de valider le rejet du compte ; il décide de sanctionner le candidat en qualifiant le manquement de particulièrement grave (A), ce qui le conduit à prononcer une peine d’inéligibilité proportionnée (B).

A. La qualification d’un manquement d’une particulière gravité

En application de l’article L.O. 136-1 du code électoral, le prononcé de l’inéligibilité suppose la démonstration d’une « volonté de fraude ou d’un manquement d’une particulière gravité ». En l’absence d’éléments attestant une intention frauduleuse, le Conseil s’est fondé sur la seconde alternative. Il a jugé que l’absence d’ouverture d’un compte bancaire unique constituait un tel manquement. Cette gravité ne découle pas d’une éventuelle dissimulation, mais de la nature même de l’obligation méconnue.

La décision souligne que le manquement porte sur « une règle dont [le candidat] ne pouvait ignorer la portée ». Par cette formule, le Conseil constitutionnel établit une présomption de connaissance de la loi pour une obligation aussi fondamentale. Il signifie qu’un candidat à une élection nationale ne peut valablement arguer de sa négligence ou de son ignorance pour échapper à sa responsabilité. Le manquement est considéré comme grave non pas en raison de ses conséquences financières, non mesurables en l’espèce, mais parce qu’il anéantit la possibilité même d’un contrôle et porte atteinte au pacte de transparence qui lie les candidats aux électeurs.

B. Le prononcé d’une peine d’inéligibilité mesurée

Une fois la particulière gravité du manquement établie, le Conseil constitutionnel dispose d’un pouvoir d’appréciation pour prononcer ou non l’inéligibilité et pour en fixer la durée, dans une limite de trois ans. En l’espèce, il a déclaré le candidat « inéligible en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral pour une durée d’un an ». Cette sanction, bien que sévère, apparaît mesurée. Elle est inférieure au maximum encouru, ce qui suggère que le juge a tenu compte de l’absence de fraude démontrée ou d’autres irrégularités.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui sanctionne lourdement les manquements structurels aux règles de financement. En prononçant une peine d’inéligibilité d’un an, le Conseil adresse un message clair à tous les futurs candidats sur le caractère impératif et non négociable de l’ouverture d’un compte de campagne. La sanction a donc une portée à la fois punitive pour le candidat en cause et préventive pour l’ensemble des acteurs politiques, rappelant que la transparence financière n’est pas une option, mais le fondement de la confiance en matière électorale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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