Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-6497 AN du 20 juin 2025

Le Conseil constitutionnel, par une décision du 19 juin 2025, s’est prononcé sur la régularité du financement de la campagne électorale d’une candidate aux élections législatives. Cette décision fait suite à la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques concernant un litige relatif au scrutin de juin 2024. Lors des opérations électorales dans la troisième circonscription d’un département, la candidate a obtenu un score supérieur au seuil légal de 1 % des suffrages exprimés. Cette situation imposait alors l’établissement et le dépôt d’un compte de campagne retraçant l’intégralité des recettes perçues et des dépenses engagées pour l’élection.

L’autorité de contrôle a rejeté le compte de campagne le 10 février 2025 au motif que le mandataire financier n’avait pas ouvert de compte bancaire dédié. La Commission a ensuite saisi le juge constitutionnel afin qu’il tire les conséquences juridiques de cette méconnaissance des dispositions du code électoral. La candidate n’a produit aucune observation au cours de l’instruction devant le Conseil malgré la communication qui lui a été faite de cette saisine. La question posée au juge consistait à déterminer si le défaut d’ouverture d’un compte bancaire unique justifiait le rejet du compte et l’inéligibilité de l’intéressée.

Le Conseil constitutionnel confirme la décision de rejet et déclare la candidate inéligible à tout mandat pour une durée d’une année à compter du délibéré. L’étude de cette solution nécessite d’analyser le caractère impératif de l’obligation bancaire avant d’apprécier la sévérité de la sanction prononcée au regard du manquement constaté.

I. Le rejet du compte de campagne fondé sur l’absence de compte bancaire dédié

A. L’obligation de centralisation des flux financiers sur un compte unique

L’article L. 52-6 du code électoral impose au mandataire financier l’ouverture d’un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité des opérations financières de la campagne. Cette formalité constitue une règle substantielle de la législation électorale destinée à garantir la transparence des financements et la traçabilité des fonds utilisés par les candidats. Le compte de campagne doit refléter « selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection ». L’existence de ce support bancaire spécifique permet ainsi aux autorités de s’assurer qu’aucun financement occulte ou irrégulier n’a été injecté dans la compétition électorale.

L’ouverture du compte est une obligation qui pèse sur le mandataire dès sa désignation par le candidat pour la durée de la période de financement. Le législateur a entendu soumettre la gestion des fonds à un circuit unique afin de faciliter le contrôle ultérieur par la Commission nationale compétente. En l’espèce, la méconnaissance de cette règle empêche toute vérification objective de la réalité des flux financiers ainsi que du respect du plafonnement légal des dépenses. Cette exigence demeure applicable dès lors que le candidat a bénéficié de dons ou a obtenu une part significative des suffrages exprimés lors du scrutin.

B. L’irrégularité irrémédiable constatée par l’autorité de contrôle

Le Conseil constitutionnel relève que le mandataire financier « n’avait pas ouvert de compte bancaire, en violation des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 52-6 ». Cette omission constitue une irrégularité matérielle objective qui ne peut être régularisée a posteriori après la clôture de la période de dépôt des comptes. Le juge constitutionnel considère que cette circonstance est établie par les pièces du dossier et qu’elle suffit à fonder le rejet du compte de campagne. Par conséquent, il estime que c’est « à bon droit » que l’autorité administrative a pris la décision de rejeter la comptabilité présentée par la candidate évincée.

L’absence de compte bancaire rend le compte de campagne intrinsèquement irrégulier au regard des principes de sincérité et de transparence qui régissent le contentieux électoral. Le juge n’a pas à rechercher si cette omission procède d’une intention frauduleuse ou d’une simple négligence technique pour confirmer la décision de rejet initial. La sanction du rejet s’impose de manière automatique dès lors que la formalité substantielle de l’ouverture du compte bancaire n’a pas été respectée durant la campagne. Ce constat technique et juridique permet alors au juge d’envisager l’application des dispositions relatives à l’inéligibilité du candidat dont le compte est invalidé.

II. Le prononcé d’une inéligibilité proportionnée à la gravité de l’omission

A. La caractérisation souveraine d’un manquement d’une particulière gravité

Selon l’article L.O. 136-1 du code électoral, le juge peut déclarer inéligible le candidat en cas de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité ». Le Conseil constitutionnel juge ici que l’absence de compte bancaire dédié à la campagne électorale revêt précisément ce caractère de gravité exceptionnelle requis par la loi. Il considère que l’obligation de disposer d’un compte bancaire unique constitue une règle fondamentale dont la candidate « ne pouvait ignorer la portée » lors de son engagement. Cette appréciation souveraine souligne que la méconnaissance d’une formalité aussi essentielle au contrôle financier ne saurait être traitée comme une simple erreur purement formelle.

La gravité du manquement s’apprécie au regard de l’impossibilité pour l’administration de contrôler l’origine des fonds et le respect des interdictions relatives aux dons des personnes morales. Le défaut de compte bancaire paralyse l’exercice de la mission de vérification confiée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Le juge constitutionnel applique ainsi une jurisprudence constante qui assimile le défaut d’ouverture de compte à une faute lourde justifiant une sanction d’exclusion de la vie publique. La particulière gravité est ici retenue pour protéger l’ordre public électoral et assurer l’égalité des armes entre les différents compétiteurs lors des élections nationales.

B. L’application d’une sanction temporaire de privation du droit de suffrage passif

Le Conseil constitutionnel décide de prononcer l’inéligibilité de l’intéressée à tout mandat pour une durée d’un an à compter de la date de sa décision. Cette sanction de douze mois apparaît modérée au regard du maximum légal de trois ans prévu par les dispositions organiques en vigueur pour de tels manquements. Le juge adapte la durée de l’inéligibilité en tenant compte des circonstances de l’espèce et de l’absence manifeste de volonté de dissimulation frauduleuse des dépenses électorales. Néanmoins, le prononcé de cette mesure demeure indispensable pour assurer l’effectivité de la règle de droit et prévenir la réitération de tels comportements négligents.

La décision entraîne l’interdiction de se présenter à tout nouveau scrutin durant la période fixée, garantissant ainsi une sanction concrète à la violation des règles de financement. Cette mesure de police du scrutin assure la crédibilité du système de contrôle des dépenses électorales en rappelant les devoirs de rigueur incombant à chaque candidat. Le juge confirme ainsi sa mission de régulateur de la vie politique française en veillant à la stricte application des mécanismes de transparence financière. L’inéligibilité d’un an sanctionne donc une faute de gestion majeure sans pour autant priver définitivement la candidate de son droit à solliciter ultérieurement les suffrages.

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Hassan KOHEN
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