Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, s’est prononcé sur la situation d’une candidate aux élections législatives de juin 2024. Les faits à l’origine de cette saisine concernent le non-respect des règles de financement électoral. En l’espèce, le mandataire financier de la candidate n’avait pas ouvert le compte bancaire unique requis pour retracer l’ensemble des opérations financières liées à la campagne. Suite à ce manquement, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, par une décision du 13 février 2025, rejeté le compte de campagne de l’intéressée et a transmis le dossier au juge constitutionnel. La question de droit soulevée par cette affaire était double : d’une part, le défaut d’ouverture d’un compte bancaire unique par le mandataire financier justifie-t-il à lui seul le rejet du compte de campagne ? D’autre part, un tel manquement revêt-il le caractère d’une particulière gravité autorisant le juge à prononcer une peine d’inéligibilité à l’encontre de la candidate ? Le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative à ces deux interrogations. Il confirme d’abord le bien-fondé du rejet du compte, puis il prononce une sanction d’inéligibilité d’une durée d’un an, considérant la gravité du manquement.
Il convient d’analyser la logique implacable conduisant à la validation du rejet du compte de campagne (I), avant d’étudier les fondements de la sanction personnelle qui en découle (II).
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I. La confirmation du rejet du compte de campagne pour manquement à une règle substantielle
Le Conseil constitutionnel valide sans surprise la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, en rappelant d’abord l’obligation fondamentale d’isoler les flux financiers de campagne (A), ce qui rend le rejet du compte inévitable en cas de violation (B).
A. Le principe intangible de la transparence financière
Le droit électoral français repose sur une exigence de transparence stricte afin de garantir la sincérité du scrutin et l’égalité entre les candidats. Au cœur de ce dispositif se trouve l’article L. 52-6 du code électoral, qui impose au mandataire financier « d’ouvrir un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières ». Cette obligation n’est pas une simple formalité administrative ; elle constitue la pierre angulaire du contrôle des dépenses et des recettes électorales. En isolant les fonds de campagne du patrimoine personnel du candidat ou de toute autre source de financement, le compte unique permet de s’assurer de l’origine licite des recettes et de la correcte affectation des dépenses. Il prévient ainsi les risques de confusion des patrimoines, de dépassement dissimulé du plafond des dépenses et de financement occulte. La décision commentée rappelle implicitement que cette règle est une garantie fondamentale de la régularité de la compétition électorale.
B. La conséquence automatique de la violation de la règle
Face à la violation de cette exigence centrale, la position du juge ne laisse place à aucune ambiguïté. La décision est laconique mais définitive : « Cette circonstance est établie. Par suite, c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne. » L’absence du compte bancaire unique n’est pas une irrégularité susceptible d’être régularisée ou minimisée. Elle constitue une carence structurelle qui vicie à la racine l’ensemble du compte de campagne, le rendant invérifiable et donc nécessairement invalide. Le Conseil constitutionnel ne fait ici qu’appliquer une jurisprudence constante qui considère que ce manquement prive les organes de contrôle de la capacité d’exercer leur mission. Le rejet du compte de campagne n’est donc pas une sanction en soi, mais la simple constatation de l’impossibilité matérielle de procéder à sa vérification. C’est une conséquence technique et automatique d’un défaut majeur dans la mise en œuvre des obligations financières du candidat.
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Au-delà de cette validation technique, la décision se distingue par le prononcé d’une sanction personnelle, qui relève d’une appréciation distincte de la seule régularité comptable.
II. Le prononcé d’une sanction d’inéligibilité fondée sur la gravité du manquement
Le Conseil constitutionnel ne se contente pas de valider le rejet du compte ; il use de son pouvoir de sanction en qualifiant le manquement (A), ce qui le conduit à prononcer une peine d’inéligibilité mesurée mais significative (B).
A. La qualification du manquement d’une particulière gravité
Si le rejet du compte est automatique, le prononcé d’une peine d’inéligibilité est, lui, soumis à l’appréciation souveraine du juge. L’article L.O. 136-1 du code électoral exige en effet une « volonté de fraude ou un manquement d’une particulière gravité ». En l’absence d’éléments prouvant une intention frauduleuse, le Conseil constitutionnel devait déterminer si l’omission d’ouvrir un compte bancaire dédié franchissait ce seuil de gravité. La décision le confirme en jugeant qu’il s’agit d’un « manquement à une règle dont [la candidate] ne pouvait ignorer la portée ». Par cette formule, le juge constitutionnel souligne que l’obligation n’est pas une subtilité technique réservée aux experts-comptables, mais une règle fondamentale et suffisamment connue pour que nul candidat ne puisse prétendre l’ignorer. La gravité ne réside pas dans les montants en jeu, qui ne sont pas même discutés, mais dans la nature même de la règle transgressée, laquelle est essentielle à la philosophie du droit du financement politique.
B. La portée de la sanction : un rappel à l’ordre pédagogique
En conséquence de cette qualification, le Conseil constitutionnel prononce une peine d’inéligibilité « à tout mandat pour une durée d’un an ». Le choix de cette sanction et de sa durée révèle une volonté de proportionnalité. D’une part, en sanctionnant, le juge adresse un signal clair à tous les futurs candidats sur le caractère non négociable de l’obligation de transparence financière. Il réaffirme que le respect des règles du jeu démocratique prime et que leur violation ne saurait rester sans conséquence personnelle. D’autre part, la durée d’un an, relativement modérée au regard de la peine maximale de trois ans encourue, témoigne d’une appréciation mesurée. Le Conseil sanctionne fermement le principe du manquement sans pour autant appliquer la rigueur maximale, tenant vraisemblablement compte de l’absence de fraude avérée et de la situation d’espèce. La décision revêt ainsi une portée pédagogique, rappelant que l’amateurisme en matière de financement de campagne expose à des conséquences judiciaires sévères qui affectent directement la capacité à exercer des fonctions électives.