Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du défaut de dépôt du compte de campagne d’un candidat dans le cadre des élections législatives. En l’espèce, un candidat ayant obtenu plus de 1 % des suffrages exprimés lors du scrutin des 30 juin et 7 juillet 2024 n’avait pas déposé son compte de campagne dans le délai légal expirant le dixième vendredi suivant le premier tour. Saisie par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la haute juridiction a été amenée à examiner cette situation. Le candidat a, postérieurement à la saisine, tenté de régulariser sa situation en produisant un compte le 24 mars 2025, soit plusieurs mois après l’échéance. Il revenait ainsi au juge de l’élection de déterminer si le manquement à l’obligation de dépôt du compte de campagne dans le délai légal, malgré une régularisation tardive, constituait une violation d’une « particulière gravité » justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel y répond par l’affirmative en déclarant le candidat inéligible à tout mandat pour une durée de trois ans. Cette décision, qui rappelle la rigueur des règles de financement politique (I), illustre la sévérité avec laquelle le juge sanctionne les manquements portant atteinte à la transparence de la vie publique (II).
I. La Rigueur des Règles du Financement des Campagnes Électorales
Le juge constitutionnel réaffirme avec force le caractère substantiel des obligations comptables qui pèsent sur les candidats. Cette exigence se manifeste tant par la nature impérative de l’obligation de dépôt du compte (A) que par l’inefficacité d’une régularisation opérée hors délai (B).
A. Le caractère impératif de l’obligation de dépôt du compte de campagne
L’obligation d’établir et de déposer un compte de campagne constitue une pierre angulaire du droit électoral français, visant à garantir la transparence et l’égalité entre les candidats. Le Conseil constitutionnel rappelle à ce titre que, conformément à l’article L. 52-12 du code électoral, tout candidat ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu de se soumettre à cette exigence. En l’espèce, le candidat était sans conteste assujetti à cette obligation, ce qui rendait le dépôt de son compte de campagne dans les délais impartis non pas une simple formalité administrative, mais une condition essentielle de la régularité de sa participation au scrutin. Le manquement constaté ne relève donc pas d’une simple négligence, mais d’une violation directe d’une règle fondamentale encadrant le financement de la vie politique. La décision souligne ainsi que le respect scrupuleux du calendrier fixé par la loi est indissociable de la sincérité du processus électoral.
B. L’indifférence du juge face à une régularisation tardive
Le candidat a tenté de corriger son manquement en déposant son compte de campagne plusieurs mois après l’expiration du délai légal. Toutefois, le Conseil constitutionnel écarte cet argument en se fondant sur une jurisprudence constante et rigoureuse. Il relève que si le compte a bien été produit, cette production est intervenue « postérieurement à la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ». Le juge précise surtout qu’« il ne résulte pas de l’instruction que des circonstances particulières étaient de nature à justifier la méconnaissance des obligations résultant de l’article L. 52-12 ». En l’absence de la démonstration d’un cas de force majeure ou d’une circonstance exceptionnelle ayant empêché le dépôt en temps utile, la régularisation est jugée inopérante. Cette position stricte confirme que le respect du délai n’est pas une condition de forme susceptible de régularisation, mais bien une condition de fond dont la violation est irrémédiablement constituée dès l’échéance dépassée.
II. L’inéligibilité, sanction de la méconnaissance des exigences démocratiques
Face à la violation caractérisée de l’obligation de dépôt, le Conseil constitutionnel fait application de la sanction prévue par la loi organique. Pour ce faire, il qualifie le manquement constaté (A) avant de prononcer une peine dont la durée confirme sa fonction dissuasive (B).
A. La qualification d’un manquement d’une particulière gravité
L’article L.O. 136-1 du code électoral autorise le juge à prononcer une peine d’inéligibilité en cas de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité ». Dans la présente affaire, sans même avoir à rechercher une intention frauduleuse, le Conseil se fonde sur la seconde alternative. Il estime que le seul fait de ne pas avoir déposé de compte de campagne dans le délai prescrit, alors que le candidat y était tenu, est constitutif d’un tel manquement. La décision est nette : « compte tenu de la particulière gravité de ce manquement, il y a lieu de prononcer l’inéligibilité ». Cette appréciation souveraine du juge de l’élection démontre que l’absence de transparence financière, en empêchant tout contrôle sur l’origine des recettes et la nature des dépenses, est considérée comme une atteinte suffisamment sérieuse aux principes fondamentaux de la démocratie pour justifier une sanction aussi lourde. La gravité ne réside pas dans le montant des sommes en jeu, qui ne sont même pas examinées, mais dans l’obstacle mis au contrôle citoyen et institutionnel.
B. La portée de la peine d’inéligibilité prononcée
En application de ces principes, le Conseil constitutionnel prononce l’inéligibilité du candidat « pour une durée de trois ans à compter de la présente décision ». Cette sanction, qui correspond à la durée maximale prévue par les textes pour ce type de manquement, n’est pas seulement punitive, elle est également préventive et dissuasive. En privant un citoyen de son droit d’être élu pendant une période significative, le juge envoie un signal clair à tous les futurs candidats sur l’impératif de se conformer aux règles de financement. La durée de trois ans, loin d’être symbolique, a un impact concret en ce qu’elle couvre plusieurs échéances électorales potentielles. Cette décision s’inscrit ainsi dans une lignée jurisprudentielle qui fait de la transparence financière non pas une option, mais une condition sine qua non de la participation à la vie politique, dont le non-respect entraîne une mise à l’écart temporaire mais ferme de la compétition électorale.