Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-6558 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du manquement d’un candidat à ses obligations en matière de financement de campagne électorale. En l’espèce, à l’issue des élections législatives de juin et juillet 2024, il a été constaté que le mandataire financier d’un candidat n’avait pas ouvert le compte bancaire unique requis pour retracer les opérations financières de la campagne. Saisie du compte de campagne de l’intéressé, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, par une décision du 13 février 2025, rejeté ce compte en raison de cette omission. La commission a ensuite transmis le dossier au Conseil constitutionnel, comme le prévoit la procédure, afin que ce dernier se prononce sur l’éventualité d’une sanction d’inéligibilité. Le juge de l’élection devait donc déterminer si le manquement à l’obligation légale d’ouvrir un compte bancaire ou postal unique constituait une irrégularité d’une particulière gravité justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette omission justifiait une telle sanction, jugeant qu’eu « égard à la particulière gravité du manquement à une règle dont [le candidat] ne pouvait ignorer la portée, il y a lieu de prononcer son inéligibilité ».

Il convient d’analyser la confirmation par le juge du caractère substantiel de la formalité du compte bancaire unique (I), avant d’étudier la portée de la sanction prononcée à l’encontre du candidat (II).

I. Le caractère substantiel de la formalité du compte bancaire unique

Le Conseil constitutionnel confirme d’abord la décision de rejet du compte de campagne prise par l’organe de contrôle (A), ce qui lui permet ensuite de procéder à une appréciation souveraine de la gravité du manquement constaté (B).

A. La validation du rejet du compte de campagne

Le Conseil constitutionnel rappelle que l’article L. 52-12 du code électoral impose aux candidats de déposer un compte de campagne retraçant l’ensemble des recettes et des dépenses engagées. Ce document financier est la clé de voûte du contrôle exercé par la commission compétente, dont la mission est de s’assurer de la régularité du financement des campagnes électorales. Or, ce contrôle serait privé de toute efficacité si les flux financiers n’étaient pas centralisés sur un support unique et identifiable. C’est la raison pour laquelle l’article L. 52-6 du même code impose l’ouverture d’un « compte bancaire ou postal unique » par le mandataire financier du candidat.

En l’espèce, le Conseil constate que cette obligation n’a pas été respectée, cette circonstance étant « établie ». Dès lors, en l’absence de ce compte unique, il est matériellement impossible pour l’autorité de contrôle de vérifier l’origine des recettes et la nature des dépenses. Le Conseil constitutionnel juge donc que « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne ». Cette première étape du raisonnement confirme que l’ouverture d’un compte dédié n’est pas une simple formalité administrative, mais une condition essentielle à la validité même du compte de campagne.

B. L’appréciation souveraine de la gravité du manquement

Le rejet du compte de campagne ne déclenche pas automatiquement une sanction d’inéligibilité. Il constitue un préalable nécessaire qui ouvre la compétence du Conseil constitutionnel pour statuer sur le fondement de l’article L.O. 136-1 du code électoral. Ce texte lui confère le pouvoir de déclarer un candidat inéligible en cas de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité ». Le juge de l’élection n’est donc pas lié par l’analyse de la commission et doit procéder à sa propre appréciation des faits pour qualifier la faute commise.

Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel ne retient pas la notion de fraude, qui supposerait la démonstration d’une intention de tromper. Il se fonde sur le second critère, celui du « manquement d’une particulière gravité ». Il estime que l’absence de compte bancaire unique revêt ce caractère. Cette analyse souveraine transforme une irrégularité comptable, bien que sérieuse, en une faute politique justifiant une mise à l’écart temporaire de la compétition électorale. Le juge constitutionnel s’érige ainsi en garant du respect scrupuleux des règles qui assurent la transparence et l’égalité entre les candidats.

II. La portée de la sanction d’inéligibilité

La décision du Conseil constitutionnel se distingue par la justification qu’elle donne à la gravité du manquement (A), tout en livrant une sanction dont la portée est à la fois préventive et pédagogique (B).

A. La présomption de connaissance de la loi électorale

Pour motiver sa décision de prononcer une inéligibilité, le Conseil constitutionnel évalue le manquement au regard de la connaissance qu’en devait avoir son auteur. Il juge en effet que le candidat « ne pouvait ignorer la portée » de la règle transgressée. Cette formule est déterminante, car elle établit une forme de présomption de connaissance de la loi électorale qui pèse sur toute personne se présentant au suffrage des électeurs. L’oubli d’une règle aussi fondamentale que celle du compte unique ne saurait être considéré comme une simple négligence excusable.

En adoptant ce raisonnement, le Conseil affirme que les règles de financement des campagnes ne sont pas de simples contraintes techniques, mais des principes cardinaux du pacte démocratique. Le fait de se porter candidat implique une adhésion à ces règles et une obligation de s’enquérir de leur contenu précis. La gravité du manquement ne découle donc pas seulement de ses conséquences pratiques sur le contrôle, mais aussi du mépris qu’il révèle pour une exigence de transparence au cœur du processus électoral. La décision renforce ainsi le niveau d’exigence attendu de la part des acteurs politiques.

B. Une sanction proportionnée à vocation pédagogique

En application de l’article L.O. 136-1 du code électoral, le Conseil constitutionnel dispose d’une marge d’appréciation pour fixer la durée de l’inéligibilité, dans une limite de trois ans. Dans la présente affaire, il prononce une inéligibilité « pour une durée d’un an ». Cette sanction, bien que significative, n’atteint pas le maximum légal, ce qui indique une volonté de proportionner la peine à la nature de la faute. Le juge n’a pas relevé de fraude ou de dissimulation active, mais une défaillance structurelle dans l’organisation de la campagne.

La portée de cette décision est avant tout pédagogique. Elle envoie un signal clair à tous les futurs candidats sur le caractère non négociable de l’obligation d’ouvrir un compte bancaire dédié. En qualifiant ce manquement de « particulière gravité », le Conseil constitutionnel le place au même niveau que des irrégularités plus souvent sanctionnées, comme le dépassement du plafond des dépenses. Cette jurisprudence a vocation à prévenir de futures négligences en rappelant que le droit électoral est un droit formaliste où le respect des procédures garantit la sincérité du scrutin.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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