Conseil constitutionnel, Décision n° 79-107 DC du 12 juillet 1979

Par une décision du 12 juillet 1979, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité d’une loi autorisant l’institution de redevances pour certains ouvrages d’art. Cette loi dérogeait à un texte ancien interdisant les ponts à péage sur les routes nationales ou départementales afin de financer des infrastructures spécifiques. Plusieurs députés à l’Assemblée nationale ont saisi la juridiction constitutionnelle en soutenant que le texte portait atteinte à des libertés fondamentales garanties par le bloc de constitutionnalité. Les auteurs de la saisine invoquaient notamment une violation de la liberté d’aller et venir ainsi qu’une méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques. La question posée aux juges était de savoir si le principe de gratuité de la circulation routière constituait une norme de valeur constitutionnelle s’imposant au législateur français. Le Conseil constitutionnel décide que la liberté de circulation ne fait pas obstacle à ce que l’utilisation d’un ouvrage donne lieu au versement d’une redevance. Il refuse également de reconnaître à la gratuité routière le caractère de principe fondamental reconnu par les lois de la République malgré l’existence d’une loi de 1880. L’analyse portera sur le rejet du dogme de la gratuité absolue puis sur la modulation encadrée du principe d’égalité.

I. L’exclusion de la gratuité routière du bloc de constitutionnalité

A. La consécration d’une liberté d’aller et venir non absolue

Le Conseil constitutionnel affirme que « la liberté d’aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle » sans pour autant imposer une gratuité de circulation universelle. Ce principe permet de protéger le droit de circuler librement mais il ne saurait « faire obstacle à ce que l’utilisation de certains ouvrages donne lieu au versement d’une redevance ». Le juge opère ici une distinction nette entre l’exercice d’une liberté individuelle et le coût financier lié à l’usage d’infrastructures publiques coûteuses. L’institution d’un péage ne constitue pas une restriction excessive à la liberté individuelle si elle reste justifiée par l’utilité et les dimensions de l’ouvrage.

L’existence d’une contrepartie financière pour un service rendu ne porte pas atteinte à l’essence même du droit de déplacement protégé par les textes constitutionnels. La loi définit d’ailleurs des critères précis liés au coût et au service rendu pour justifier cette dérogation exceptionnelle à la règle de droit commun. Cette approche pragmatique permet de concilier la protection des libertés publiques avec les nécessités économiques de financement des grands ouvrages d’art nationaux.

B. Le refus de reconnaître un principe fondamental de gratuité

Les requérants invoquaient une loi du 30 juillet 1880 disposant qu’« il ne sera plus construit à l’avenir de ponts à péage sur les routes nationales ou départementales ». Le Conseil constitutionnel écarte l’idée que cette interdiction législative puisse être érigée au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Selon la décision, la gratuité de la circulation ne peut être regardée comme un principe constitutionnel au sens des préambules des Constitutions de 1946 et 1958. Le juge refuse ainsi de sacraliser une tradition législative pour en faire une norme supérieure s’imposant aux futurs choix du législateur contemporain.

Cette position renforce la souveraineté du Parlement pour adapter le régime juridique de la voirie publique aux évolutions des besoins techniques et financiers de l’État. La simple existence d’une loi ancienne, même constante dans le temps, ne suffit pas à créer un principe de valeur constitutionnelle sans une intention spécifique. Le législateur peut donc légalement déroger à la gratuité par une loi nouvelle dès lors qu’il respecte les autres exigences de la charte fondamentale.

II. La conciliation du principe d’égalité avec les nécessités du service

A. La validation de traitements différenciés fondés sur des situations distinctes

Le grief tiré de la rupture d’égalité est également écarté par une interprétation classique et souple de ce principe directeur de la vie publique française. Le Conseil constitutionnel rappelle que si l’égalité implique des solutions identiques pour des situations semblables, « des situations différentes peuvent faire l’objet de solutions différentes ». La loi permettait d’instaurer des tarifs variés ou la gratuité totale selon les diverses catégories d’usagers fréquentant l’ouvrage d’art concerné par la redevance. Cette différenciation n’est pas jugée discriminatoire car elle repose sur des critères objectifs en rapport direct avec l’exploitation et l’utilité de l’infrastructure.

L’administration peut donc moduler la charge financière imposée aux citoyens sans méconnaître les droits fondamentaux si cette modulation répond à une finalité d’intérêt général clairement identifiée. Le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose pas à une rupture de l’uniformité tarifaire si celle-ci est justifiée par des différences de situation manifestes. La décision valide ainsi un usage fonctionnel du principe d’égalité adapté aux réalités territoriales et aux conditions particulières d’exploitation des réseaux de transport.

B. L’admission de critères de tarification liés à l’intérêt local

La loi prévoit des modulations tarifaires pour tenir compte soit d’une nécessité d’intérêt général, soit de la « situation particulière de certains usagers » locaux. Le Conseil valide explicitement la prise en compte du domicile ou du lieu de travail des usagers résidant dans les départements concernés par l’ouvrage. Ces critères spécifiques ne sont contraires « ni au principe de l’égalité devant la loi ni à son corollaire, celui de l’égalité devant les charges publiques ». La juridiction reconnaît la légitimité de favoriser les populations locales qui utilisent quotidiennement l’ouvrage pour leurs besoins professionnels ou personnels essentiels.

Cette tolérance permet de corriger les inégalités géographiques en évitant que le coût du péage ne devienne une charge trop lourde pour les riverains immédiats. La protection de l’intérêt général justifie que certains citoyens bénéficient de tarifs préférentiels en raison de leur lien étroit avec le territoire où l’ouvrage est implanté. Le Conseil constitutionnel consacre ainsi une vision de l’égalité qui intègre les impératifs de justice sociale et de solidarité territoriale au sein du droit administratif.

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Hassan KOHEN
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