Le Conseil constitutionnel a rendu le 29 décembre 1984 une décision majeure relative au contrôle de la constitutionnalité de la loi de finances pour l’année 1985. Cette décision traite principalement des règles organiques budgétaires, du principe d’égalité devant l’impôt ainsi que de la protection des libertés individuelles face aux administrations publiques. L’instance est saisie par plusieurs groupes de parlementaires contestant de nombreuses dispositions législatives, notamment sur le fonctionnement financier du budget annexe des télécommunications. Les requérants dénoncent également des mesures fiscales discriminatoires et des atteintes possibles à la liberté de l’enseignement ou au droit de propriété. La question centrale porte sur l’étendue des compétences du législateur financier au regard de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 et des droits fondamentaux. Le juge doit déterminer si les transferts de fonds entre budgets et les nouvelles procédures de contrôle fiscal respectent l’ensemble du bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel valide l’essentiel du texte mais censure une disposition relative à la création d’établissements publics par l’État pour le compte des collectivités. Il affirme que « les charges des services dotés d’un budget annexe doivent être normalement couvertes par les recettes affectées à cette fin ». L’analyse de cette décision s’articule autour de la validation des mécanismes financiers et fiscaux, puis de l’encadrement des libertés publiques par le domaine organique.
I. La validation des mécanismes financiers et fiscaux
A. Le régime juridique des budgets annexes et l’affectation des ressources
Le Conseil constitutionnel examine d’abord la structure des budgets annexes, notamment celui des postes et télécommunications, contesté pour ses transferts financiers internes. Le juge rappelle que « les charges des services dotés d’un budget annexe doivent être normalement couvertes par les recettes affectées à cette fin ». Cette règle découle directement de la notion organique de budget annexe, dérogeant au principe général de non-affectation des recettes publiques. Toutefois, le Conseil admet la validité des transferts financiers dès lors que l’exécution du budget laisse apparaître un excédent après couverture intégrale des charges. Le versement au budget général devient inconstitutionnel uniquement s’il est « déterminé dans son montant de façon définitive et inconditionnelle » indépendamment des résultats constatés. Cette solution préserve l’autonomie de gestion des services industriels tout en autorisant une utilisation souple des surplus financiers par la puissance publique.
B. La reconnaissance d’un large pouvoir d’imposition au législateur
Le législateur jouit par ailleurs d’une liberté importante dans la définition des prélèvements fiscaux et de leur champ d’application temporel ou sectoriel. Concernant la contribution des institutions financières, le juge écarte le grief de rupture d’égalité en soulignant des caractéristiques propres justifiant un traitement différencié. Le texte précise que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte des dispositions fiscales différentes pour des activités professionnelles différentes ». De même, la rétroactivité des lois de finances est confirmée, aucun principe constitutionnel ne s’opposant à ce qu’une mesure fiscale s’applique à un exercice antérieur. Cette soumission du contribuable à la loi nouvelle garantit l’ajustement permanent des ressources de l’État aux nécessités économiques et financières du pays. La stabilité contractuelle ne saurait ainsi primer sur la souveraineté fiscale exercée annuellement par le Parlement lors du vote du budget national.
II. L’encadrement des libertés publiques par le domaine organique
A. La conciliation nécessaire entre efficacité administrative et droits fondamentaux
La décision aborde ensuite la protection des libertés individuelles, particulièrement dans le cadre des procédures de perquisition et du financement de l’enseignement privé. Le juge valide les pouvoirs d’investigation de l’administration fiscale car la loi « assure le contrôle effectif par le juge de la nécessité de procéder à chaque visite ». Cette conciliation entre la lutte contre la fraude et la liberté individuelle respecte parfaitement les exigences de l’article 66 de la Constitution. Sur le terrain scolaire, le caractère limitatif des crédits pour les enseignants privés ne porte pas davantage atteinte à la liberté de l’enseignement. L’aide de l’État doit simplement rester compatible avec les impératifs budgétaires annuels définis souverainement par le Parlement dans le respect de l’équilibre financier. Le juge constitutionnel refuse ainsi d’ériger des garanties financières en obstacles insurmontables à la gestion rigoureuse des fonds publics par le pouvoir législatif.
B. La sanction du non-respect de la compétence organique du législateur financier
Enfin, la haute juridiction censure les dispositions étrangères au domaine exclusif ou partagé des lois de finances, protégeant ainsi la spécificité de la norme organique. L’article 119 du texte prévoyait la création d’établissements publics par l’État pour les transférer ensuite aux collectivités territoriales jugées compétentes. Le Conseil juge que cette mesure « n’est pas au nombre de celles qui, en vertu de l’ordonnance du 2 janvier 1959, peuvent figurer dans une loi de finances ». Cette irrégularité entraîne la déclaration de non-conformité de la disposition, bien qu’elle ne contrevienne par ailleurs à aucun autre principe constitutionnel de fond. La décision réaffirme la rigueur nécessaire dans l’élaboration des normes financières pour préserver les prérogatives parlementaires et la clarté nécessaire du budget national. Cette censure rappelle que la loi de finances ne peut servir de vecteur à des réformes administratives étrangères à l’équilibre financier de l’année.