Conseil constitutionnel, Décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 25 janvier 1985, une décision fondamentale concernant la mise en œuvre de l’état d’urgence sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Cette saisine par des parlementaires contestait la constitutionnalité d’un régime d’exception non expressément prévu par le texte suprême de la Cinquième République. Les requérants invoquaient également une irrégularité procédurale liée à l’absence de consultation de l’assemblée territoriale ainsi que l’imprécision des pouvoirs conférés à l’autorité administrative. La juridiction devait déterminer si le législateur peut instaurer un régime attentatoire aux libertés en dehors des cas de l’article trente-six. Le Conseil a validé l’ensemble du dispositif législatif en s’appuyant sur la compétence générale du législateur pour assurer la sauvegarde de l’ordre public. L’analyse de cette décision révèle d’abord la consécration d’un pouvoir législatif étendu en période de crise, avant de préciser les limites matérielles du contrôle de constitutionnalité.

I. La consécration législative d’un régime de crise non constitutionnalisé

A. La mission de conciliation entre ordre public et libertés fondamentales

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur l’article trente-quatre de la Constitution qui charge le législateur de fixer les règles concernant les libertés publiques. Cette compétence implique d’opérer la « conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré ». La protection de la sécurité publique constitue ainsi un objectif de valeur constitutionnelle justifiant des restrictions temporaires aux droits individuels. Le législateur dispose d’une marge d’appréciation souveraine pour définir les mesures adaptées à l’intensité des troubles constatés sur une partie du territoire national. En l’espèce, l’instauration de l’état d’urgence répondait à une nécessité impérieuse de rétablir la paix civile dans un contexte de tensions locales aiguës. Cette mission régalienne permet ainsi d’adapter l’arsenal juridique aux circonstances exceptionnelles sans méconnaître les principes fondamentaux de la démocratie.

B. Le caractère non exhaustif de l’article trente-six de la Constitution

Les auteurs de la saisine soutenaient que seul l’état de siège, mentionné explicitement par le texte constitutionnel, pouvait légalement restreindre les libertés publiques. Le Conseil rejette cette interprétation restrictive en affirmant que la Constitution « n’a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence ». L’existence de l’article trente-six ne limite pas le pouvoir normatif du Parlement à cette seule hypothèse de transfert de pouvoirs aux autorités militaires. La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence demeure donc compatible avec les institutions de 1958 malgré l’absence de référence textuelle directe. Cette solution consacre la survie des régimes d’exception législatifs antérieurs sous réserve de leur adaptation aux exigences constitutionnelles contemporaines par le juge. La reconnaissance de cette compétence législative permet de maintenir une souplesse indispensable face aux menaces pesant sur la continuité de la vie nationale.

II. L’encadrement procédural et matériel du contrôle de constitutionnalité

A. L’exclusion de la consultation obligatoire pour les mesures de simple application

La seconde critique portait sur l’article soixante-quatorze imposant la consultation de l’assemblée territoriale pour toute modification de l’organisation particulière des territoires d’outre-mer. Le juge constitutionnel écarte ce grief en soulignant que la loi déférée constitue seulement « une mesure d’application » des lois de 1955 et de 1984. Comme le texte ne modifie pas les structures institutionnelles du territoire, l’obligation de consultation préalable de l’assemblée locale ne trouve pas à s’appliquer. Cette distinction entre création d’une organisation et simple mise en œuvre d’un pouvoir de police préexistant préserve l’efficacité de l’action étatique. La rapidité nécessaire au déclenchement d’un régime d’exception s’accorde difficilement avec des exigences procédurales locales trop contraignantes pour le pouvoir central. Le Conseil constitutionnel veille ainsi à ne pas paralyser l’exercice des compétences régaliennes par une extension excessive des garanties de l’autonomie territoriale.

B. L’irrecevabilité des griefs dirigés contre une loi déjà promulguée

Le Conseil précise enfin l’étendue de sa saisine en refusant de contrôler les dispositions de fond issues de la loi du 3 avril 1955. La régularité d’une loi promulguée ne peut être contestée qu’à l’occasion de sa modification ou si le nouveau texte affecte son domaine propre. En l’occurrence, la loi de 1985 se contentait d’autoriser la mise en application du régime d’urgence sans en transformer les règles matérielles ou les garanties juridictionnelles. Cette immunité juridictionnelle des lois anciennes fait obstacle à l’examen des moyens relatifs à l’imprécision des pouvoirs du haut-commissaire de la République. La théorie de la loi écran empêche ainsi le juge d’utiliser une loi de circonstance comme prétexte pour censurer un texte législatif devenu définitif. La décision confirme la stabilité de l’ordre juridique en limitant le contrôle de constitutionnalité aux seules innovations normatives introduites par le législateur saisi.

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Hassan KOHEN
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