Par une décision rendue le 11 janvier 1990, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé. Cette loi fut adoptée après que le Gouvernement eut engagé sa responsabilité devant l’Assemblée nationale, conformément aux dispositions de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. La saisine, exercée par plusieurs députés et sénateurs, critiquait tant la régularité de la procédure législative que le fond de certaines mesures touchant aux droits des étrangers. Les requérants contestaient notamment la capacité d’un ministre chargé de l’intérim à mettre en œuvre la procédure d’engagement de responsabilité en l’absence du Premier ministre titulaire. Ils dénonçaient également l’exclusion des étrangers du bénéfice de l’allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité comme une rupture caractérisée du principe d’égalité. Le juge constitutionnel devait alors déterminer si l’intérim des fonctions de direction du Gouvernement permettait l’exercice de prérogatives constitutionnelles majeures et si l’égalité s’imposait pour les prestations sociales. Le Conseil constitutionnel a validé la procédure d’intérim tout en prononçant une censure historique concernant le traitement discriminatoire des étrangers résidant régulièrement sur le territoire national.
I. La validation de la régularité institutionnelle et législative
Le juge constitutionnel affirme d’abord la pleine validité de l’exercice des pouvoirs attachés à la fonction de Premier ministre par un ministre désigné pour en assurer l’intérim.
A. L’intégrité des prérogatives du Premier ministre par intérim
Le Conseil constitutionnel considère que le décret chargeant un ministre de l’intérim produit un effet immédiat sans qu’il soit nécessaire d’attendre sa publication au Journal officiel. Cette solution se fonde sur l’article 5 de la Constitution afin de permettre au Président de la République d’assurer, en toutes circonstances, la continuité de l’action gouvernementale. Dès lors que l’intérim est régulièrement établi, le ministre concerné « possédait l’intégralité des pouvoirs attachés à la fonction qui lui était confiée à titre intérimaire ». Cette plénitude de compétence inclut la faculté d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte, sous réserve d’une délibération préalable du Conseil des ministres. Par cette interprétation extensive, la juridiction garantit l’efficacité du mécanisme de l’article 49, alinéa 3, même en cas d’absence momentanée du chef du Gouvernement. L’impératif de continuité de l’État prime ainsi sur les formalités habituelles de publicité des actes administratifs individuels dont se prévalaient initialement les auteurs de la saisine.
B. L’encadrement des limites inhérentes au droit d’amendement
Le Conseil constitutionnel examine ensuite la validité des articles introduits par voie d’amendement pour vérifier s’ils respectent les exigences de la procédure législative ordinaire. Il rappelle que le droit d’amendement, corollaire de l’initiative législative, ne saurait permettre l’introduction de dispositions totalement étrangères à l’objet initial du texte en discussion. Les adjonctions ne doivent pas être « sans lien » avec le projet déposé, ni dépasser par leur objet et leur portée les limites spécifiques de cette procédure simplifiée. En l’espèce, les articles contestés relatifs à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales ont été jugés conformes à ces critères constitutionnels. Le juge estime que ces dispositions présentaient un lien suffisant avec le texte initial portant sur la sécurité sociale et la santé des assurés nationaux. Cette position illustre la volonté de maintenir un équilibre entre la liberté de modification parlementaire et la cohérence nécessaire des débats lors de la navette législative.
II. La protection des principes fondamentaux et des compétences
Après avoir validé la procédure, le juge censure les dispositions portant atteinte au principe d’égalité et précise la répartition des compétences entre le législateur et l’autorité réglementaire.
A. La consécration de l’égalité des étrangers devant les prestations sociales
Le point saillant de la décision réside dans la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article excluant les étrangers du bénéfice de l’allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité. Le Conseil constitutionnel affirme que le législateur peut prendre des mesures spécifiques pour les étrangers sous réserve de respecter les droits fondamentaux reconnus à tous. L’exclusion de ceux résidant régulièrement en France, lorsqu’ils ne bénéficient pas de conventions internationales de réciprocité, « méconnaît le principe constitutionnel d’égalité » de manière injustifiée. Cette allocation visant à garantir un minimum vital aux personnes âgées ou inaptes doit être accordée sans distinction de nationalité dès lors que la résidence est stable. Le juge constitutionnel érige ainsi le principe d’égalité en rempart contre les discriminations fondées sur la seule origine dans l’accès aux dispositifs de solidarité nationale. Cette décision marque une étape décisive vers l’universalité des droits sociaux fondamentaux pour toute personne humaine vivant sur le territoire de la République française.
B. La précision du partage des compétences en matière de santé
Le juge se prononce enfin sur le mécanisme conventionnel régissant les rapports entre les médecins et les caisses d’assurance maladie au regard des articles 34 et 21. Il considère que le législateur respecte sa compétence en fixant le principe selon lequel les tarifs des honoraires médicaux sont déterminés par voie de conventions nationales. Le Conseil constitutionnel précise toutefois que l’approbation de ces conventions par l’autorité ministérielle leur confère un « caractère réglementaire » nécessaire à leur pleine intégration dans l’ordre juridique. Cette intervention du pouvoir exécutif permet de déléguer la mise en œuvre de principes fondamentaux à des autorités publiques autres que le seul Premier ministre titulaire. Le juge valide ainsi la dualité des conventions pour les généralistes et les spécialistes sans y voir une atteinte au libre choix du médecin. L’organisation contractuelle de la santé publique demeure conforme à la Constitution dès lors qu’elle reste étroitement circonscrite par la loi et supervisée par l’administration.