Le Conseil constitutionnel a rendu, le 19 février 1998, la décision n° 98-396 DC relative à une loi organique organisant le recrutement exceptionnel de magistrats de l’ordre judiciaire. Ce texte prévoyait la création de concours spécifiques destinés à des professionnels confirmés afin de pallier une pénurie de personnel constatée dans certaines juridictions françaises. En tant que loi organique, cette norme a fait l’objet d’un examen automatique de constitutionnalité conformément aux dispositions de l’article 46 de la Constitution de 1958.
La question posée au juge constitutionnel résidait dans la compatibilité de ces modes de recrutement dérogatoires avec les principes d’indépendance et d’égalité d’accès aux emplois publics. Le Conseil constitutionnel déclare les dispositions conformes, tout en formulant des réserves d’interprétation strictes destinées à garantir la compétence ainsi que l’impartialité des futurs magistrats recrutés. L’analyse se concentre d’abord sur la validation d’un recrutement dérogatoire encadré par des réserves de capacité, puis sur la protection des garanties fondamentales du statut juridictionnel.
I. La validation d’un mode de recrutement exceptionnel encadré par des exigences de capacité
A. La justification pragmatique d’un dispositif de recrutement transitoire
Le juge constitutionnel admet qu’aucune règle de valeur constitutionnelle ne s’oppose à un mode de recrutement exceptionnel motivé par la pénurie de personnel juridique observée. Cette admission repose sur la nécessité de garantir le bon fonctionnement du service public de la justice dont l’efficacité dépend directement du nombre de magistrats en poste. La loi prévoit ainsi des recrutements par concours pour différents grades de la hiérarchie judiciaire durant une période limitée aux années 1998 et 1999 exclusivement.
Ces mesures visent à intégrer des profils expérimentés, âgés de trente-cinq à cinquante-cinq ans, justifiant d’une activité professionnelle préalable d’une durée significative de service effectif. L’objectif consiste à diversifier les sources du corps judiciaire sans pour autant remettre en cause les structures pérennes de la carrière des magistrats de l’ordre judiciaire. L’admission de ce principe de recrutement exceptionnel impose toutefois au juge de définir des critères de sélection garantissant la qualité des décisions de justice rendues.
B. La subordination de la conformité à la preuve d’une qualification juridique
Le Conseil constitutionnel souligne que les diplômes ou l’expérience antérieure ne font pas « présumer, dans tous les cas, la qualification juridique nécessaire » aux fonctions de magistrat. Il impose donc au pouvoir réglementaire de prévoir des épreuves permettant de vérifier rigoureusement les connaissances techniques ainsi que l’aptitude à juger des différents candidats admis. Cette exigence découle directement de la Déclaration de 1789 qui impose une sélection fondée exclusivement sur les « capacités, les vertus et les talents » des citoyens.
Les magistrats ainsi recrutés doivent être en mesure de garantir « l’égalité des citoyens devant la justice » dès leur installation définitive dans leurs fonctions juridictionnelles du second degré. Le juge lie la validité du texte à la mise en œuvre d’un contrôle effectif des compétences par les autorités administratives compétentes sous un contrôle juridictionnel strict. L’équilibre ainsi trouvé entre efficacité administrative et rigueur juridique permet d’aborder la question des garanties offertes aux catégories de magistrats exerçant hors carrière habituelle.
II. La préservation des garanties statutaires face à la diversification des fonctions judiciaires
A. L’encadrement des fonctions exercées à titre temporaire ou extraordinaire
L’article 6 de la loi organique modifie les conditions de recrutement des conseillers de cour d’appel en service extraordinaire, prolongeant notamment la durée totale de leurs fonctions. Le Conseil constitutionnel rappelle que les fonctions judiciaires doivent, en principe, être exercées par des personnes consacrant leur vie professionnelle entière à la magistrature de carrière classique. Cependant, la Constitution autorise que des fonctions soient exercées par des personnes extérieures, sous réserve que cette possibilité demeure strictement limitée dans son ampleur institutionnelle globale.
Le texte examiné augmente le nombre de ces magistrats non professionnels tout en maintenant une proportion jugée compatible avec les équilibres fondamentaux de l’institution judiciaire de l’État. Le juge constitutionnel veille ainsi à ce que l’ouverture du corps ne conduise pas à une dénaturation de la fonction juridictionnelle normalement réservée aux magistrats de carrière. Si la diversification des profils est validée dans son principe, elle ne doit en aucun cas porter atteinte aux protections statutaires qui garantissent l’indépendance judiciaire.
B. Le maintien des principes d’indépendance et d’égalité de traitement
Le législateur peut modifier des textes antérieurs mais ses choix ne sauraient « aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » préexistantes au profit du justiciable. Cette précision capitale garantit que les réformes successives ne fragilisent pas l’indépendance de l’autorité judiciaire protégée par l’article 64 de la norme constitutionnelle suprême de la République. Concernant l’avancement, le Conseil estime que la prise en compte partielle de l’activité antérieure des recrues exceptionnelles ne méconnaît pas l’égalité de traitement statutaire.
La décision assure un équilibre entre la reconnaissance des compétences acquises hors du corps et la protection de la carrière des magistrats issus de la voie de recrutement habituelle. Cette jurisprudence consacre une vision de la magistrature ouverte sur la société civile mais fermement ancrée dans des garanties d’impartialité et de compétence technique absolument indispensables. Le respect de l’indépendance demeure le socle inaltérable sur lequel repose la légitimité de toute réforme relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire français.