Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, examine la conformité de la loi d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail. Ce texte prévoit le passage à trente-cinq heures hebdomadaires tout en instaurant des aides financières pour les entreprises anticipant cette réforme par accord collectif. Soixante députés saisissent la juridiction constitutionnelle en invoquant la violation de la liberté d’entreprendre, du principe d’égalité et de l’exigence de clarté de la loi. Ils critiquent également l’absence de concertation préalable avec les organisations syndicales et l’incompétence négative du législateur concernant les modalités d’application. Le juge constitutionnel rejette l’essentiel des griefs tout en précisant les conditions de mise en œuvre de la réforme par le pouvoir réglementaire. L’analyse portera d’abord sur la préservation de la compétence du législateur avant d’étudier la conciliation entre les droits fondamentaux.
I. L’affirmation de la compétence législative et de la régularité procédurale
A. L’absence d’obligation constitutionnelle de négociation préalable
Les requérants soutiennent que l’élaboration du texte méconnaît le droit constitutionnel de participation faute de concertation préalable avec les partenaires sociaux. Le Conseil constitutionnel écarte ce moyen en soulignant qu’aucune règle constitutionnelle n’oblige le Gouvernement à négocier avant la présentation d’un projet de loi. Il affirme qu’aucune disposition « n’obligent le Gouvernement à faire précéder la présentation au Parlement d’un projet de loi… d’une négociation entre les partenaires sociaux ». Cette solution préserve la plénitude de l’initiative législative appartenant au Premier ministre et aux membres du Parlement conformément à la Constitution. Le législateur demeure donc libre d’organiser le calendrier des discussions sociales sans que cela n’affecte la validité de la procédure législative suivie.
B. La validation du recours à une entrée en vigueur différée
Le législateur peut fixer une durée légale du travail tout en différant son application au premier janvier 2000 ou 2002 selon les effectifs. Cette technique législative respecte l’article 34 de la Constitution car les mesures demeurent suffisamment claires et précises pour les destinataires de la norme. L’article 13 prévoyant un rapport futur ne lie pas le législateur ultérieur et ne subordonne pas l’application de la réforme à de nouvelles règles. Le juge considère que les dispositions critiquées ne sont pas « en fonction des résultats de mesures d’incitation qui sont elles-mêmes déterminées dans la perspective d’une réforme incertaine ». La clarté de la loi est ainsi préservée malgré la complexité du dispositif transitoire mis en place pour accompagner les entreprises.
II. Une conciliation proportionnée entre objectifs sociaux et libertés économiques
A. L’encadrement de la liberté d’entreprendre par l’objectif de plein emploi
La liberté d’entreprendre subit des limitations justifiées par l’intérêt général si elles ne dénaturent pas la portée de ce droit fondamental de 1789. Le juge estime que la règle nouvelle « ne porte pas à la liberté d’entreprendre une atteinte telle qu’elle en dénaturerait la portée ». Cette restriction s’inscrit dans l’objectif constitutionnel tendant à assurer le droit pour chacun d’obtenir un emploi conformément au Préambule de 1946. Le Conseil constitutionnel refuse de substituer son appréciation à celle du Parlement sur l’efficacité économique de la réduction du temps de travail. Il se borne à vérifier que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif de création d’emplois poursuivi par le texte.
B. La justification des distinctions fondées sur des critères objectifs
Le principe d’égalité autorise le législateur à régler de façon différente des situations distinctes pour des motifs d’intérêt général en rapport avec l’objet. Le report de l’échéance pour les petites entreprises constitue une mesure d’adaptation temporaire fondée sur des critères objectifs liés à la gestion du personnel. Le Conseil rappelle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité ». Les spécificités d’emploi du personnel d’encadrement justifient également des modalités particulières de décompte du temps de travail sans méconnaître l’égalité entre salariés. La décision valide ainsi la structure différenciée de la réforme qui tient compte des contraintes économiques propres à chaque catégorie d’employeurs.