Conseil constitutionnel, Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999

Par sa décision du 16 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a examiné la loi d’habilitation permettant au Gouvernement de codifier la partie législative de neuf codes. Cette saisine émanait de soixante députés. L’un d’eux a vainement tenté de retirer sa signature après le dépôt du recours auprès du secrétariat général de l’institution. Les requérants soutenaient que le recours aux ordonnances méconnaissait les compétences du Parlement définies aux articles 34, 38 et 44 de la Constitution. Ils critiquaient également l’imprécision des finalités de l’habilitation et l’absence d’abrogation expresse des textes anciens. La haute juridiction devait déterminer si l’exercice du pouvoir législatif par voie d’ordonnances respectait les exigences de clarté et de protection des droits fondamentaux. Le Conseil valide l’essentiel du texte en consacrant l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi pour justifier la célérité de la procédure utilisée. Nous analyserons l’émergence de cet objectif constitutionnel avant d’étudier la protection des compétences législatives lors de l’exercice de cette délégation de pouvoir.

I. L’intelligibilité de la loi comme fondement du recours aux ordonnances

A. La rigueur procédurale de la saisine et de l’habilitation

Le Conseil constitutionnel affirme d’abord que la saisine par les parlementaires résulte indivisiblement d’une ou plusieurs lettres signées par au moins soixante membres. Une fois le contrôle engagé, aucun signataire ne peut valablement dessaisir la juridiction en invoquant une simple confusion lors de l’apposition de son nom. Cette solution garantit la stabilité de la procédure de contrôle de constitutionnalité contre les pressions politiques ou les revirements individuels après le dépôt du mémoire. S’agissant de l’article 38, le Gouvernement doit indiquer avec précision la finalité des mesures ainsi que leur domaine d’intervention devant les deux assemblées. Le juge précise cependant qu’il  » n’impose pas au Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu’il prendra en vertu de cette habilitation « . Cette interprétation souple facilite le travail de regroupement des normes législatives éparses tout en préservant le cadre fixé par la loi autorisant la délégation.

B. La consécration d’un objectif de valeur constitutionnelle essentiel

La décision marque une étape historique en reconnaissant explicitement  » l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi  » au sein de l’ordre juridique français. Les juges fondent cette exigence nouvelle sur l’égalité devant la règle commune et sur la garantie des droits proclamées par la Déclaration de 1789. Une connaissance suffisante des normes est indispensable à l’exercice des libertés car  » tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché « . Le retard pris dans le travail de codification constitue alors un motif d’intérêt général suffisant pour légitimer l’usage exceptionnel des ordonnances gouvernementales. Cette finalité supérieure permet de rejeter le grief tiré de l’insuffisance de l’urgence invoquée par le Premier ministre lors des débats parlementaires préalables. L’insécurité juridique née de la multiplication des textes justifie ainsi que l’exécutif supplée provisoirement le législateur pour organiser rationnellement le droit positif.

II. La préservation de la souveraineté législative face au pouvoir exécutif

A. La contrainte impérative d’une codification à droit constant

Le Conseil constitutionnel rappelle que le pouvoir de codifier appartient par nature au législateur même s’il peut en déléguer momentanément l’exercice au Gouvernement. Cette délégation est strictement encadrée par le principe de la codification  » à droit constant  » qui interdit toute modification substantielle des règles de fond préexistantes. Le Gouvernement ne peut opérer que des corrections rédactionnelles indispensables pour assurer  » le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes « . L’abrogation des lois antérieures est considérée comme inhérente au processus de codification et ne nécessite aucune mention explicite dans la loi d’habilitation initiale. Cette solution évite un vide juridique durant la phase transitoire tout en permettant une substitution automatique des nouvelles références législatives aux anciennes dispositions. Les juges veillent ainsi à ce que le recours aux ordonnances ne devienne pas un instrument de réforme politique déguisé sous un prétexte technique.

B. Le maintien effectif des prérogatives de contrôle du Parlement

Le droit d’amendement des parlementaires n’est pas anéanti par cette procédure puisque les membres des assemblées conservent la faculté de modifier le projet d’habilitation. Ils pourront également exercer pleinement leurs prérogatives lors de la procédure législative visant à l’adoption des projets de loi de ratification des futures ordonnances. Le Conseil souligne que les députés et sénateurs restent libres de déposer des propositions de loi pour modifier les codes après l’expiration du délai imparti. L’intervention du Gouvernement demeure donc temporaire et réversible sous le contrôle souverain du Parlement qui garde le dernier mot sur la qualité des normes. Par ailleurs, la loi d’habilitation  » devra être interprétée et appliquée, sous le contrôle du Conseil d’État « , dans le respect absolu des principes constitutionnels. Ce double garde-fou juridictionnel et politique garantit que la recherche de l’efficacité administrative ne se traduise jamais par un affaiblissement durable des droits des citoyens.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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