Conseil constitutionnel, Décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 13 janvier 2000, se prononce sur la conformité de la loi relative à la réduction négociée du temps de travail. Ce texte législatif parachève le processus engagé par la loi du 13 juin 1998 en généralisant la durée hebdomadaire de trente-cinq heures. Des députés et des sénateurs ont saisi la juridiction afin de contester de nombreuses dispositions qu’ils jugeaient contraires aux droits et libertés constitutionnels. Les requérants invoquaient notamment une méconnaissance de la compétence législative, une atteinte à la liberté d’entreprendre ainsi qu’une violation de la liberté contractuelle. Ils dénonçaient également des ruptures d’égalité injustifiées entre les entreprises et les salariés en fonction de leur situation au regard de la réduction du temps de travail.

La question de droit soumise au juge constitutionnel porte sur l’équilibre entre les objectifs sociaux du législateur et le respect des principes de valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la réforme tout en censurant plusieurs dispositions pour incompétence négative, atteinte disproportionnée aux contrats en cours ou rupture d’égalité. La solution retenue précise les conditions dans lesquelles le législateur peut interférer avec l’autonomie collective des partenaires sociaux pour un motif d’intérêt général.

I. L’exigence de clarté législative et la préservation de la liberté contractuelle

A. La sanction de l’incompétence négative relative aux plans sociaux

Le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence en déléguant excessivement ses pouvoirs aux autorités administratives et juridictionnelles concernant la validité des plans sociaux. L’article 1er de la loi imposait aux employeurs une obligation de négociation préalable sur la réduction du temps de travail avant tout licenciement collectif. Cependant, le texte omettait de préciser les sanctions juridiques attachées à l’inobservation de cette nouvelle contrainte procédurale pesant sur les entreprises. Le Conseil constitutionnel souligne qu’en « laissant aux autorités administratives et juridictionnelles le soin de déterminer si cette obligation est une condition de validité du plan social », le Parlement a failli.

Cette imprécision législative ouvrait la voie à une insécurité juridique majeure pour les employeurs ainsi que pour les représentants du personnel. La haute juridiction considère que « le législateur n’a pas pleinement exercé sa compétence » au regard des exigences posées par l’article 34 de la Constitution. La détermination des principes fondamentaux du droit du travail impose en effet de fixer les conditions de validité des procédures de licenciement. Cette censure rappelle que la loi doit être suffisamment précise pour garantir une application uniforme et prévisible du droit sur l’ensemble du territoire.

B. L’encadrement de l’atteinte législative aux accords collectifs en vigueur

La liberté contractuelle, bien que dépourvue de valeur constitutionnelle propre en 2000, bénéficie d’une protection indirecte via l’article 4 de la Déclaration de 1789. Le Conseil constitutionnel affirme que le législateur peut modifier des dispositions législatives mais ne saurait remettre en cause des conventions légalement conclues sans motif impérieux. Les dispositions critiquées limitaient la durée de vie des accords issus de la première loi de 1998 s’ils n’étaient pas mis en conformité. Le juge précise qu’il ne pouvait « remettre en cause leur contenu que pour un motif d’intérêt général suffisant » dans les circonstances de l’espèce.

Cette protection s’applique particulièrement lorsque les clauses contractuelles ne méconnaissaient pas les conséquences prévisibles de la réduction de la durée du travail. Le Conseil censure ainsi les mesures qui plafonnaient brutalement à 1600 heures la durée annuelle du travail sans ménager les accords contraires préexistants. Il estime qu’en « n’écartant pas du champ d’application de telles dispositions les entreprises couvertes par les accords collectifs contraires », la loi a méconnu les exigences constitutionnelles. Le législateur doit respecter l’économie des conventions déjà signées sauf si une nécessité publique majeure impose une intervention immédiate et uniforme.

II. La mise en œuvre du principe d’égalité et la sauvegarde des libertés économiques

A. La condamnation des différences de traitement sur les heures supplémentaires

Le respect du principe d’égalité devant la loi interdit de traiter différemment des personnes placées dans une situation identique au regard de l’objet du texte. L’article 5 de la loi instaurait des taux de bonification des heures supplémentaires divergents selon que l’entreprise avait ou non réduit sa durée collective. Les salariés travaillant encore trente-neuf heures percevaient une bonification moindre que ceux déjà passés au régime des trente-cinq heures hebdomadaires. Le Conseil constitutionnel observe que « les salariés des deux catégories d’entreprises mentionnées à l’article 5 se trouvent dans une situation identique » au regard des heures supplémentaires.

Cette distinction ne reposait sur aucun critère objectif en rapport direct avec l’objet de la loi de rémunérer le travail au-delà du seuil légal. La haute juridiction affirme que l’absence de réduction du temps de travail « ne saurait être individuellement imputé à chaque salarié » pour justifier une moindre rémunération. En instaurant une bonification réduite pour certains travailleurs, le législateur a établi « une différence de traitement sans rapport direct avec l’objet de la loi ». Cette censure protège les salariés contre des mesures incitatives qui pénaliseraient injustement leur pouvoir d’achat en raison des choix de leur employeur.

B. La validation globale du cadre légal au regard de la liberté d’entreprendre

La liberté d’entreprendre découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen mais n’est pas absolue pour les acteurs économiques. Le législateur peut y apporter des limitations justifiées par l’intérêt général, notamment pour favoriser le droit à l’emploi ou garantir le repos. Le Conseil juge qu’en portant à trente-cinq heures la durée légale, le législateur a entendu s’inscrire dans le cadre du Préambule de 1946. Il estime que « cette conciliation n’est entachée d’aucune erreur manifeste » au regard des objectifs de politique sociale et économique poursuivis.

Les restrictions imposées au pouvoir de direction de l’employeur sont jugées proportionnées car elles n’aboutissent pas à dénaturer la portée de la liberté d’entreprendre. Le juge valide ainsi les nouveaux régimes de modulation du temps de travail ainsi que les dispositifs d’aide financière aux entreprises. Il souligne que le législateur a « ouvert plusieurs voies à la négociation en fonction de la taille de l’entreprise » pour faciliter la transition. Le contrôle administratif sur l’octroi des allègements de charges ne constitue pas non plus une immixtion abusive dans la gestion privée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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