Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la requête d’une société exploitant une installation de production de béton, qui demandait l’annulation d’un jugement confirmant la légalité d’une astreinte administrative prononcée à son encontre. Cette décision offre un éclairage sur l’articulation des pouvoirs de police administrative en matière environnementale et l’office du juge administratif, particulièrement lorsque des sanctions sont prises alors même que les mises en demeure qui les fondent font l’objet d’un recours contentieux.
En l’espèce, à la suite de plusieurs inspections ayant révélé des non-conformités aux prescriptions applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement, notamment en matière de gestion des eaux et des rejets polluants, une autorité préfectorale a notifié deux arrêtés de mise en demeure à une société exploitante en octobre et décembre 2019. Constatant la persistance de certaines irrégularités lors d’une visite de contrôle en mai 2020, l’administration a, par un arrêté du 2 juin 2020, prononcé à l’encontre de l’exploitant une astreinte journalière pour chaque manquement constaté, jusqu’à complète régularisation. La société a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une demande d’annulation de cet arrêté d’astreinte, arguant notamment de l’illégalité des mises en demeure initiales et du fait que celles-ci faisaient l’objet d’un recours pendant. Le tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 20 décembre 2022, conduisant la société à interjeter appel.
Devant la cour administrative d’appel, l’exploitante soutenait que l’autorité préfectorale ne pouvait légalement lui infliger une astreinte alors que la légalité des mises en demeure était contestée en justice. Elle affirmait par ailleurs s’être conformée aux prescriptions avant que la sanction ne soit prononcée et contestait la proportionnalité de la mesure. Se posait donc principalement à la cour la question de savoir si l’exercice d’un recours contentieux à l’encontre d’une mise en demeure fait obstacle à ce que l’autorité administrative prononce une sanction pécuniaire pour en assurer l’exécution.
La cour administrative d’appel de Bordeaux répond par la négative, considérant que la saisine du juge n’a pas pour effet de suspendre le caractère exécutoire de la mise en demeure. Elle juge que la légalité de l’astreinte s’apprécie à la date de son édiction, en fonction du non-respect des obligations dans les délais impartis, rendant inopérante toute régularisation ultérieure ou le caractère non définitif des actes de mise en demeure.
Cet arrêt réaffirme ainsi avec force le principe de l’autonomie des pouvoirs de police administrative face à l’exercice d’un recours contentieux (I), tout en délimitant précisément l’office du juge au contrôle de la seule légalité de la sanction administrative prononcée (II).
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I. La consécration de l’autonomie de la police administrative face au recours contentieux
La décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux illustre la prérogative dont dispose l’administration pour faire exécuter ses décisions, même lorsque celles-ci sont contestées devant le juge. Elle rappelle d’abord le caractère non suspensif du recours pour excès de pouvoir (A), avant de valider la mise en œuvre rigoureuse des pouvoirs de sanction prévus par le code de l’environnement (B).
A. Le caractère non suspensif du recours pour excès de pouvoir
L’argument principal de la société requérante, selon lequel une astreinte ne pouvait être prononcée en raison des recours pendants contre les arrêtés de mise en demeure, est écarté sans ambiguïté. La cour énonce en effet qu’« aucune disposition législative ou règlementaire ne fait obstacle à ce que le préfet prenne un arrêté prononçant une astreinte en application de dispositions de l’article L.171-8 du code de l’environnement alors même que des recours contentieux contre les arrêtés de mise en demeure seraient pendants ». Cette formule réaffirme un principe fondamental du contentieux administratif : le recours pour excès de pouvoir n’a pas, en lui-même, d’effet suspensif.
En l’absence d’une demande de sursis à exécution accordée par le juge, la décision administrative, en l’occurrence la mise en demeure, est présumée légale et continue de produire ses effets. L’administration conserve donc son pouvoir d’agir pour en assurer le respect, y compris par l’usage de mesures coercitives comme l’astreinte. Cette solution garantit l’effectivité de l’action administrative, particulièrement en matière de police environnementale où la prévention des risques et des pollutions requiert une intervention rapide et continue. Soumettre le pouvoir de sanction au caractère définitif de la mise en demeure reviendrait à paralyser l’action publique et à permettre à un exploitant de se prévaloir de sa propre lenteur ou de celle de la justice pour échapper à ses obligations.
B. La mise en œuvre rigoureuse des pouvoirs de sanction
L’arrêt confirme que la procédure de sanction administrative prévue à l’article L. 171-8 du code de l’environnement est un mécanisme autonome, dont le déclenchement est conditionné par le seul non-respect d’une mise en demeure dans le délai fixé. La cour vérifie méticuleusement que les conditions légales sont remplies : l’inexécution des prescriptions, constatée par un rapport d’inspection, à l’expiration des délais impartis. Les constatations factuelles du rapport du 18 mai 2020, qui font état de la persistance des non-conformités, suffisent à justifier légalement le prononcé de l’astreinte.
Le juge se refuse à examiner les moyens relatifs au respect d’autres prescriptions que celles visées par l’astreinte, les qualifiant d’inopérants. Cette approche stricte démontre que l’astreinte est directement et exclusivement liée à l’obligation non satisfaite. La cour valide ainsi une application rigoureuse de la logique répressive voulue par le législateur, où la sanction est la conséquence quasi automatique d’une défaillance avérée de l’exploitant. La légalité de l’astreinte ne dépend pas de la légalité de la mise en demeure elle-même, qui relève d’un autre débat contentieux.
II. Un contrôle juridictionnel cantonné à l’appréciation de la légalité de la sanction
Exerçant un contrôle de pleine juridiction en application de l’article L. 171-11 du code de l’environnement, le juge ne se limite pas à vérifier la légalité externe de l’acte. Il peut substituer sa propre appréciation à celle de l’administration. Cependant, cet arrêt montre que le juge encadre strictement son office, en jugeant indifférente la régularisation postérieure à la sanction (A) et en exerçant un contrôle restreint sur les faits et l’opportunité de la mesure (B).
A. L’indifférence de la régularisation postérieure à la sanction
La cour écarte l’argument de la société selon lequel sa mise en conformité ultérieure devrait entraîner l’annulation de la sanction. Elle juge en effet que cette circonstance « est sans incidence sur la légalité de l’arrêté du 2 juin 2020 dès lors qu’une astreinte journalière peut être fixée s’il n’a pas été déféré, comme en l’espèce, aux mises en demeure dans le délai imparti et à la date du prononcé de l’astreinte ». Le moment pertinent pour apprécier la légalité de la décision de sanction est celui de son édiction. L’astreinte a pour objet de contraindre l’exploitant à agir ; sa finalité serait compromise si une régularisation tardive permettait d’annuler rétroactivement la sanction prise pour sanctionner précisément ce retard.
Cette solution est conforme à la nature même de l’astreinte, qui court jusqu’à satisfaction de l’obligation. Si une mise en conformité met fin au cours de l’astreinte pour l’avenir, elle ne saurait effacer l’illégalité passée qui a justifié son instauration. Le juge de la légalité se place à la date de l’acte attaqué et ne peut tenir compte de faits postérieurs pour l’annuler, sauf disposition contraire. La décision protège ainsi la force dissuasive du dispositif de sanction administrative.
B. L’office restreint du juge sur les faits et l’opportunité de la mesure
Face aux arguments factuels de la société, le juge s’en remet largement aux constatations matérielles des inspecteurs de l’environnement. Le rapport d’inspection du 18 mai 2020 constitue la pièce maîtresse du dossier, et la cour relève qu’« aucun des éléments produits par la société (…) n’est de nature à remettre en cause les constatations » qu’il contient. Le fardeau de la preuve d’une exécution correcte et dans les temps pèse donc lourdement sur l’exploitant, les rapports administratifs faisant foi jusqu’à preuve du contraire.
De même, concernant le caractère prétendument disproportionné de l’astreinte, la cour rejette le moyen au motif que la requérante « n’assortit pas ce moyen des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ». Cette motivation, bien que lapidaire, rappelle que dans le cadre du plein contentieux, il appartient au requérant d’étayer ses allégations. Faute d’éléments concrets sur sa situation financière ou sur le coût des travaux, le juge refuse de substituer son appréciation à celle de l’administration, qui a fixé des montants (200 et 300 euros) bien inférieurs au plafond légal de 1 500 euros par jour. Le contrôle de proportionnalité, bien que possible, reste donc marginal si le débat n’est pas nourri par des arguments précis.