L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 1er juillet 2025 s’inscrit dans le cadre du contentieux de la fonction publique hospitalière. Une organisation syndicale a demandé à un centre hospitalier le versement de la nouvelle bonification indiciaire au profit de certains infirmiers de bloc opératoire. Le directeur de l’établissement public a rejeté cette demande par une décision du 18 janvier 2021 dont l’annulation a été sollicitée devant la juridiction.
Par une ordonnance du 6 octobre 2023, le président de la première chambre du tribunal administratif de Pau a rejeté la demande pour irrecevabilité. L’organisation requérante soutient devant la cour d’appel que ses statuts lui confèrent un intérêt à agir pour la défense des intérêts collectifs des agents. La juridiction administrative doit déterminer si un syndicat est recevable à contester un refus de versement de sommes dues à des agents publics déterminés. La cour administrative d’appel confirme l’irrecevabilité en jugeant qu’un syndicat ne peut introduire de recours contre une décision refusant le versement de sommes à des agents. L’analyse de cette solution implique d’étudier l’irrecevabilité du recours syndical en matière pécuniaire (I) puis l’inefficacité des statuts face au caractère personnel du grief (II).
I. L’exclusion du recours syndical direct contre les refus de prestations pécuniaires individuelles Les juges d’appel fondent leur raisonnement sur les dispositions législatives régissant les droits et obligations des fonctionnaires pour limiter le périmètre de l’action syndicale.
A. L’interprétation stricte des dispositions du code général de la fonction publique L’article L. 113-2 du code général de la fonction publique autorise les syndicats à contester les actes réglementaires et les décisions portant atteinte aux intérêts collectifs. Toutefois, la jurisprudence administrative distingue traditionnellement les mesures d’organisation générale des décisions relatives à la situation financière personnelle des agents de la fonction publique. La cour rappelle qu’un syndicat « n’est pas recevable à introduire lui-même, en lieu et place des agents, un recours contre une décision refusant le versement de sommes ». Cette solution garantit que les litiges relatifs à la rémunération restent l’apanage exclusif des agents concernés qui disposent seuls de la liberté d’exercer leur action. La limitation de la recevabilité syndicale préserve ainsi la distinction fondamentale entre la défense des intérêts professionnels globaux et la revendication de droits pécuniaires subjectifs.
B. L’interdiction de se substituer aux agents pour la revendication de créances Le litige portait précisément sur le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire qui constitue un avantage financier attaché à l’exercice effectif de fonctions spécifiques. L’arrêt souligne que la décision de refus « doit être regardée comme ne faisant grief qu’aux infirmiers de bloc opératoire concernés » et non à l’organisation syndicale. En agissant seule, l’organisation a tenté d’exercer une action en reconnaissance de droits qui appartient individuellement à chaque agent membre de ce corps de santé. Le juge administratif refuse cette substitution d’action pour éviter qu’un groupement ne dispose de droits financiers dont il n’est pas le titulaire légal direct. Cette rigueur procédurale s’explique par la nécessité de lier l’exercice du recours à l’existence d’un préjudice direct et personnel affectant le patrimoine de l’agent. Le rejet de la requête principale entraîne logiquement celui des conclusions accessoires tendant à l’injonction de régulariser la situation financière des personnels de l’établissement.
II. L’inefficacité des clauses statutaires face au caractère personnel du grief La cour administrative d’appel écarte l’argumentation fondée sur l’objet social du syndicat en rappelant la supériorité de la nature juridique de l’acte sur les statuts.
A. La primauté de la nature de la décision sur l’objet social du groupement Le syndicat invoquait ses statuts qui prévoient la défense des intérêts professionnels, matériels et moraux de ses membres devant les différentes autorités de tutelle. La cour juge pourtant que le groupement est « sans qualité pour en solliciter lui-même l’annulation et ce, en dépit de la rédaction très générale de ses statuts ». L’intérêt collectif ne saurait se confondre avec l’addition d’intérêts individuels de nature pécuniaire, même si la décision litigieuse affecte un nombre important de fonctionnaires. L’acte administratif contesté ne présente pas de caractère réglementaire mais constitue une décision individuelle de refus dont les effets juridiques demeurent strictement circonscrits aux agents. Cette appréciation souveraine des juges souligne que les stipulations contractuelles d’un syndicat ne peuvent déroger aux règles de recevabilité d’ordre public du contentieux administratif.
B. La confirmation d’une jurisprudence protectrice de l’individualisation des litiges pécuniaires L’arrêt confirme une solution classique selon laquelle le syndicat peut seulement intervenir au soutien d’un recours préalablement formé par un agent victime d’un préjudice. La juridiction précise en effet que l’organisation « aurait pu intervenir au soutien d’une requête présentée par un agent concerné par une telle décision » administrative de refus. Cette possibilité d’intervention volontaire permet au syndicat d’apporter son expertise juridique sans pour autant dessaisir l’agent de la conduite de son propre procès administratif. La décision renforce la sécurité juridique des administrations employeuses en limitant le risque de multiplication des recours syndicaux directs portant sur des créances de rémunération. Le rejet définitif de l’appel illustre la volonté du juge de maintenir une frontière étanche entre le combat syndical collectif et la gestion des carrières individuelles.