Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 1 juillet 2025, n°24BX02068

Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 1er juillet 2025 illustre le sort d’un recours contentieux lorsque l’administration accorde en cours d’instance ce qu’elle avait initialement refusé. En l’espèce, un ressortissant étranger avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale. Le préfet de Mayotte s’était opposé à cette demande par un arrêté du 31 janvier 2022, décision qui s’accompagnait d’une obligation de quitter le territoire français. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Mayotte afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté. Par un jugement du 9 avril 2024, le tribunal a rejeté sa requête. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision. Cependant, postérieurement à l’introduction de sa requête d’appel, il a informé la cour avoir obtenu un titre de séjour d’une durée d’un an. De ce fait, ses conclusions initiales tendant à l’annulation du refus et à ce qu’il soit enjoint à l’administration de lui délivrer un titre de séjour étaient, selon lui, devenues sans objet. Il appartenait donc à la cour de déterminer si la délivrance d’un titre de séjour en cours de procédure rendait sans objet le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus initial. La cour administrative d’appel a constaté le non-lieu à statuer sur les conclusions en annulation et en injonction. Elle a estimé que « le requérant ayant obtenu entière satisfaction en cours d’instance, les conclusions aux fins d’annulation et d’injonction présentées sont devenues sans objet ».

Cette solution, classique en procédure administrative, consacre l’extinction de l’instance par la satisfaction accordée au requérant (I), tout en confirmant le rôle pragmatique du juge qui adapte l’issue du litige aux évolutions factuelles tout en préservant certains droits du justiciable (II).

***

I. L’extinction de l’instance par la satisfaction des prétentions du requérant

Le non-lieu à statuer prononcé par la cour administrative d’appel résulte directement de la disparition de l’objet du litige (A), entraînant par voie de conséquence le sort des conclusions accessoires à fin d’injonction (B).

A. La disparition de l’objet du litige provoquée par l’exécution volontaire de l’administration

Le litige porté devant le juge administratif avait pour objet la censure d’une décision de refus de titre de séjour. La finalité d’un tel recours pour excès de pouvoir est d’obtenir l’annulation d’un acte administratif jugé illégal et, par conséquent, de voir sa situation réexaminée ou sa demande satisfaite. En l’espèce, l’administration préfectorale, en délivrant un titre de séjour au requérant avant que le juge ne se prononce, a pris une nouvelle décision qui se substitue à la première et accorde à l’intéressé ce qu’il demandait au tribunal d’ordonner.

Dès lors, la raison d’être du procès disparaît. Le juge constate que le requérant a « obtenu entière satisfaction en cours d’instance », ce qui prive de tout intérêt la poursuite de l’action en annulation. Le litige est éteint avant d’avoir été jugé sur le fond, car il n’existe plus de contestation à trancher entre les parties. Cette solution est une manifestation de l’économie processuelle, évitant au juge de se prononcer sur une situation juridique qui n’est plus actuelle. L’acte attaqué, bien que non formellement abrogé, a perdu toute sa portée négative pour le requérant.

B. Le caractère accessoire des conclusions à fin d’injonction

Le requérant avait assorti sa demande d’annulation d’une demande d’injonction visant à ce que le préfet soit contraint de lui délivrer le titre de séjour sollicité. Ces conclusions à fin d’injonction sont, par nature, l’accessoire des conclusions en annulation. Elles n’ont de sens que si le juge, après avoir annulé la décision de refus, entend en tirer les conséquences concrètes en ordonnant à l’administration de prendre une mesure positive.

La cour lie logiquement le sort de ces deux types de conclusions. En déclarant que « les conclusions aux fins d’annulation et d’injonction présentées sont devenues sans objet », elle applique un principe de procédure constant. L’injonction ne peut être prononcée de manière autonome ; elle est la conséquence d’une annulation contentieuse. L’objet de l’injonction ayant été réalisé par l’administration elle-même, la conclusion tendant à ce que le juge l’ordonne devient nécessairement sans objet, tout comme la demande d’annulation principale dont elle dépend.

II. La portée d’une décision de non-lieu en droit des étrangers

Si le non-lieu empêche un examen au fond de la légalité de l’acte initial, il n’en demeure pas moins que le juge conserve un rôle d’appréciation de la situation (A) et statue sur les conséquences financières du litige, ce qui n’est pas neutre pour les parties (B).

A. La confirmation du maintien de l’intérêt à agir comme condition permanente du recours

Cette décision rappelle que l’intérêt à agir, condition de recevabilité de tout recours contentieux, doit s’apprécier non seulement au jour de l’introduction de la requête, mais perdurer jusqu’à ce que le juge statue. Au moment de sa saisine, l’intérêt du requérant à contester le refus de titre de séjour était direct et certain. Cependant, la délivrance ultérieure de ce titre a fait disparaître cet intérêt. Poursuivre la procédure n’aurait apporté aucun bénéfice supplémentaire au requérant quant à son droit au séjour.

Le juge administratif ne s’engage donc pas dans un examen abstrait de la légalité de la décision du 31 janvier 2022. Le non-lieu à statuer le dispense de déterminer si le préfet avait, à l’époque, commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation. Cette approche pragmatique évite de transformer le prétoire en une instance de validation théorique de la conduite passée de l’administration. La fonction du juge est de régler un différend concret, non de délivrer des consultations juridiques sur des actes dont les effets sont épuisés.

B. Le règlement des dépens comme reconnaissance implicite du bien-fondé de la démarche contentieuse

Bien que le litige principal soit éteint, la décision de la cour n’est pas sans portée pratique. Elle statue en effet sur les frais de justice. L’article 2 de son dispositif met à la charge de l’État le versement d’une somme à l’avocate du requérant au titre de l’aide juridictionnelle. Cette condamnation de l’État aux dépens n’est pas automatique en cas de non-lieu.

En décidant de la sorte, le juge considère implicitement que l’introduction de la requête était justifiée. Si le requérant n’avait eu aucune chance de succès, le juge aurait pu laisser les frais à sa charge. Le fait que l’État soit condamné suggère que la décision initiale de refus était suffisamment fragile pour que le requérant ait été légitime à la contester en justice. Ainsi, même sans jugement au fond, la décision de non-lieu, par le biais du règlement des frais, permet de reconnaître que le recours n’était pas abusif et que le changement de position de l’administration a, en quelque sorte, donné raison au justiciable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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