Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité du retrait d’un certificat de résidence algérien d’une durée de dix ans, initialement délivré au conjoint d’une ressortissante française. Cette décision illustre les conditions dans lesquelles l’administration peut établir l’existence d’une fraude à l’intention matrimoniale pour retirer un titre de séjour, même après une période de vie commune établie. En l’espèce, un ressortissant algérien avait obtenu un certificat de résidence de dix ans suite à son mariage avec une citoyenne française. Onze mois après le début de leur vie commune en France, celle-ci a pris fin. Le préfet, s’estimant victime d’une fraude, a procédé au retrait de ce titre de séjour. L’intéressé a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui a annulé la décision préfectorale par un jugement du 1er octobre 2024, au motif que la preuve de la fraude n’était pas rapportée. Le préfet a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le mariage avait été contracté dans le but exclusif d’obtenir un titre de séjour, comme en témoignaient la brièveté de la vie commune et des violences conjugales. Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si un faisceau d’indices, incluant des violences conjugales et une cessation de la vie commune après onze mois, suffisait à caractériser une fraude à l’intention matrimoniale justifiant le retrait d’un certificat de résidence. La cour répond par l’affirmative et annule le jugement de première instance. Elle juge que les éléments du dossier, notamment le comportement de l’époux, sa condamnation pour violences et la rapidité de la rupture après l’obtention du titre, établissaient que « le comportement du requérant dans le cadre de la relation conjugale n’a pas été de nature à démontrer une réelle intention matrimoniale ». La décision de retrait était par conséquent légale.
La solution retenue par la cour administrative d’appel met en lumière la méthode d’appréciation de la fraude matrimoniale (I), tout en confirmant l’étendue du contrôle exercé par le juge sur la qualification des faits opérée par l’administration (II).
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I. La caractérisation de la fraude à l’intention matrimoniale par un faisceau d’indices
La cour fonde sa décision sur une analyse globale des circonstances de la vie conjugale, en s’appuyant sur un ensemble d’éléments concordants (A) et en accordant une importance particulière aux violences commises au sein du couple (B).
A. L’appréciation de l’intention matrimoniale au travers d’éléments factuels concordants
En l’absence de dispositions spécifiques dans l’accord franco-algérien, il revient à l’administration, qui entend retirer une décision créatrice de droits, de prouver la fraude. La bonne foi du demandeur étant présumée, la charge de la preuve pèse entièrement sur le préfet. Pour ce faire, le juge administratif admet la méthode du faisceau d’indices, qui permet de déduire l’intention frauduleuse de plusieurs faits qui, isolément, pourraient être insuffisants. En l’espèce, la cour relève plusieurs éléments. Elle note d’abord la chronologie des faits : le mariage, l’entrée en France, l’obtention du certificat de résidence en août 2020 et la cessation de la vie commune en décembre de la même année. La cour prend également en considération les déclarations de l’épouse, qui a affirmé à plusieurs reprises que son conjoint lui avait avoué l’avoir épousée uniquement pour obtenir des documents administratifs. Ces déclarations sont corroborées par un dépôt de plainte et un courrier adressé à la préfecture. Ainsi, la cour estime que « le comportement du requérant dans le cadre de la relation conjugale n’a pas été de nature à démontrer une réelle intention matrimoniale ». L’ensemble de ces faits permet de reconstituer une intention initiale dépourvue de tout caractère matrimonial, transformant le mariage en un simple procédé pour obtenir un titre de séjour.
B. La portée probatoire décisive des violences conjugales
Au-delà de la chronologie et des déclarations, la cour accorde une place centrale à la condamnation pénale du ressortissant étranger pour des faits de violence. Elle souligne que ces violences ont été commises « moins de deux mois après avoir obtenu son certificat de résidence », ce qui constitue un indice majeur de l’absence d’intention matrimoniale sincère. Cet élément ne traduit pas seulement l’échec d’une union, mais révèle, pour le juge, sa nature frauduleuse dès l’origine. Le comportement violent de l’époux est interprété comme le signe que la relation n’a jamais reposé sur un projet de vie commun, mais sur un calcul. La condamnation pénale apporte une objectivité et une gravité qui renforcent considérablement la thèse de la fraude. En retenant ce critère avec une telle force, la cour administrative d’appel envoie un signal clair : les violences conjugales peuvent être un élément déterminant dans l’appréciation de la sincérité d’une union. Cette approche confère une protection accrue à la victime tout en sanctionnant le détournement de l’institution du mariage à des fins migratoires. La décision illustre ainsi comment des faits relevant du droit pénal peuvent éclairer de manière décisive une question de droit des étrangers.
II. L’exercice d’un contrôle entier sur la qualification juridique des faits
La cour administrative d’appel ne se limite pas à valider le raisonnement préfectoral ; elle exerce un contrôle complet sur l’appréciation des faits, annulant la décision des premiers juges (A) et écartant par l’effet dévolutif de l’appel l’ensemble des autres moyens soulevés (B).
A. La réformation du jugement de première instance par une nouvelle appréciation des faits
En jugeant « que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a considéré que la fraude n’était pas établie », la cour administrative d’appel procède à une substitution complète de son appréciation à celle des premiers juges. Alors que le tribunal avait estimé la fraude non prouvée, la cour, sur la base des mêmes pièces, parvient à la conclusion inverse. Cette divergence démontre que le contrôle exercé en matière de fraude n’est pas un simple contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, mais bien un contrôle normal. Le juge d’appel vérifie si les faits, dans leur matérialité, sont établis et s’ils sont de nature à recevoir la qualification juridique de fraude. L’intensité de ce contrôle garantit que la décision administrative, particulièrement grave puisqu’elle retire un droit de séjour de longue durée, repose sur des fondements factuels et juridiques solides. La cour ne se contente pas de vérifier la cohérence du raisonnement préfectoral ; elle se livre à son propre examen des preuves pour forger sa conviction, affirmant ainsi la plénitude de sa fonction de juge du fond.
B. L’examen des moyens inopérants par l’effet dévolutif de l’appel
Ayant annulé le jugement pour un motif de fond, la cour était tenue, par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par le requérant en première instance. La cour les écarte de manière systématique et concise. Le moyen tiré de l’incompétence de la signataire de l’acte est rejeté, la délégation de signature étant régulière. Celui tiré du défaut de motivation est également écarté, l’arrêté contesté visant les textes applicables et exposant les circonstances de fait justifiant la décision. De même, les moyens relatifs au défaut de base légale et à la consultation irrégulière d’un fichier administratif sont jugés infondés ou inopérants. Cet examen formel, bien que nécessaire, montre que dès lors que la fraude est solidement caractérisée, les autres moyens de légalité externe ou interne ont peu de chances de prospérer, sauf vice particulièrement grave. La décision confirme ainsi que le cœur du contentieux du retrait pour fraude réside dans la preuve factuelle de celle-ci. Une fois cette preuve rapportée, la robustesse du pouvoir de l’administration de retirer un acte obtenu illégalement rend la décision difficilement contestable sur d’autres terrains.