En l’espèce, un ressortissant haïtien, qui alléguait résider en France depuis 2004, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en qualité d’entrepreneur. Par un arrêté en date du 18 août 2023, le préfet de la Guadeloupe a non seulement rejeté sa demande, mais l’a également obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a ordonné son signalement aux fins de non-admission. Le requérant a contesté cette décision devant le tribunal administratif de la Guadeloupe, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 30 septembre 2024. Il a alors interjeté appel de ce jugement, faisant valoir que l’arrêté préfectoral était entaché d’erreurs de droit et d’appréciation, notamment au motif que l’administration n’avait pas examiné sa situation au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il soutenait également que la décision fixant son pays de renvoi méconnaissait les risques encourus en cas de retour en Haïti.
La cour administrative d’appel était ainsi amenée à se prononcer sur l’étendue de l’obligation de l’administration d’examiner d’office les différents fondements possibles à une demande de titre de séjour. Il lui appartenait également de distinguer l’appréciation de la légalité d’une décision de renvoi à la date de son édiction, de celle des obstacles pouvant survenir ultérieurement et faire échec à son exécution matérielle.
Par un arrêt du 10 avril 2025, la cour rejette la requête. Elle juge que l’autorité préfectorale n’est pas tenue d’examiner la situation d’un demandeur au regard de dispositions non invoquées par lui, le champ de son contrôle étant délimité par les termes de la demande. Concernant le renvoi, la cour valide la légalité de la décision au jour où elle fut prise, faute pour l’intéressé d’avoir démontré un risque personnel. Elle précise cependant que la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays d’origine constitue un obstacle à l’exécution de la mesure, au regard de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le raisonnement de la cour confirme ainsi le cadre strict de l’office du préfet avant de prendre en considération les circonstances humanitaires susceptibles d’en paralyser les effets.
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I. La confirmation d’une approche rigoureuse de l’office de l’administration
La décision de la cour administrative d’appel réaffirme une application stricte des règles procédurales encadrant l’examen des demandes de titre de séjour. Elle rappelle d’abord l’office limité de l’autorité préfectorale face à une demande formulée sur un fondement juridique unique (A), avant de procéder à une appréciation souveraine et factuelle des éléments relatifs à la vie privée et familiale du requérant (B).
A. Le rappel de l’office limité de l’administration saisie sur un fondement juridique unique
La cour énonce avec clarté un principe directeur de la procédure administrative en contentieux des étrangers. Le préfet, saisi d’une demande d’admission au séjour, n’a pas l’obligation d’élargir son examen au-delà du fondement juridique expressément visé par le demandeur. L’arrêt précise ainsi que « lorsqu’il est saisi d’une demande de délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’une des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet n’est pas tenu (…) d’examiner d’office si l’intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d’une autre disposition de ce code ».
Cette solution consacre une conception classique de la répartition des rôles entre l’administré et l’administration. Il appartient au demandeur de définir le cadre juridique de ses prétentions, l’administration n’ayant pas à se substituer à lui pour rechercher toutes les voies de droit potentiellement favorables. En l’espèce, le requérant ayant limité sa demande au titre de séjour pour « entrepreneur / profession libérale », il ne pouvait reprocher au préfet de ne pas avoir examiné sa situation sous l’angle de la vie privée et familiale. Cette orthodoxie juridique garantit la sécurité des procédures et prévient une charge excessive pour l’administration.
B. L’appréciation souveraine des faits justifiant le respect de la vie privée et familiale
Bien que l’examen au titre de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ait été écarté pour des raisons procédurales, la cour examine néanmoins les moyens tirés de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Ce faisant, elle se livre à une analyse concrète et exigeante des preuves fournies par le requérant. La décision souligne l’insuffisance des éléments produits pour attester de l’ancienneté et de la stabilité de sa résidence, de l’indispensable nécessité de sa présence auprès de ses fils majeurs, ou de la réalité de sa vie de couple.
La cour relève en outre que les documents relatifs à son activité professionnelle n’établissent pas qu’il en « tirait des moyens d’existence suffisants ». Chaque allégation du requérant est ainsi confrontée à la matérialité des pièces du dossier, et l’absence de preuves suffisantes conduit la cour à écarter le grief d’atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. Cette appréciation factuelle, menée avec rigueur, rappelle que la charge de la preuve pèse entièrement sur le demandeur et que l’intensité des liens en France doit être solidement démontrée pour justifier une protection au titre de l’article 8.
II. La dissociation entre la légalité de la décision de renvoi et la possibilité de son exécution
L’apport principal de cet arrêt réside dans la distinction subtile qu’opère la cour s’agissant de la décision fixant le pays de renvoi. Elle maintient la légalité de l’acte administratif au regard de la situation prévalant au moment de son édiction (A), tout en reconnaissant qu’une évolution postérieure du contexte dans le pays de destination peut constituer un obstacle matériel à son exécution (B).
A. L’appréciation de la légalité de la décision de renvoi à la date de son édiction
La cour juge de la légalité de la décision fixant le pays de renvoi en se plaçant strictement « à la date de la décision contestée ». À ce titre, elle constate que le requérant, s’il a évoqué « en termes généraux » la situation sécuritaire en Haïti, « n’apporte aucun élément permettant de considérer qu’à la date de la décision contestée (…) il aurait été personnellement exposé » à des risques prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le juge administratif confirme ici sa jurisprudence constante : le risque doit être personnel et actuel pour vicier la légalité de la décision.
Une argumentation générale sur la violence ou l’instabilité politique d’un État ne suffit pas à caractériser une violation de l’article 3. En l’absence de preuve d’une menace spécifique visant le requérant, le préfet n’a pas commis d’erreur de droit ou d’appréciation en désignant Haïti comme pays de destination. Cette position réaffirme que le contrôle de légalité de l’acte administratif s’effectue sur la base des faits et du droit applicables au moment où il a été pris.
B. La reconnaissance d’un obstacle matériel à l’exécution du renvoi en raison de l’évolution contextuelle
C’est toutefois par une considération finale que l’arrêt révèle toute sa portée pratique. Au point 16, la cour ajoute que « la situation actuelle en Haïti est de nature à faire obstacle à l’exécution de la décision fixant cet Etat comme pays de renvoi ». Cette précision, bien qu’elle ne conduise pas à l’annulation de l’arrêté, a des conséquences déterminantes. Elle opère une dissociation entre la validité juridique de l’acte et la faisabilité de son exécution forcée.
En agissant de la sorte, la cour ne remet pas en cause la légalité de la décision préfectorale mais en neutralise les effets concrets. Elle adresse un signal clair à l’administration : toute tentative de mettre en œuvre le renvoi serait, à la date de l’arrêt, contraire aux engagements internationaux de la France. Cette approche pragmatique permet de concilier la stabilité des décisions administratives avec l’évolution des situations humanitaires, démontrant ainsi la capacité du juge à adapter les conséquences de sa décision aux réalités du terrain sans pour autant dénaturer son office de juge de la légalité.