Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les garanties procédurales encadrant le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée d’un agent public. En l’espèce, une aide-soignante employée par un centre hospitalier depuis 2017 par des contrats successifs s’est vu notifier le non-renouvellement de son engagement à compter du 9 novembre 2020. Cette décision faisait suite à une période de dégradation de ses évaluations professionnelles et de ses relations de travail, ayant déjà motivé un changement d’affectation quelques mois auparavant. L’agent a saisi le tribunal administratif de Pau afin d’obtenir l’annulation de cette décision et la réparation de ses préjudices, mais ses demandes ont été rejetées par un jugement du 20 mars 2023. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant notamment l’irrégularité de celui-ci pour omission à statuer et, sur le fond, la méconnaissance des droits de la défense. La question de droit qui se posait à la cour était double : d’une part, de déterminer si le non-respect des garanties procédurales, telles que la possibilité de présenter des observations et d’accéder à son dossier, entache d’illégalité une décision de non-renouvellement fondée sur des considérations personnelles. D’autre part, il s’agissait de statuer sur les conséquences indemnitaires d’une telle illégalité lorsque la décision aurait pu être prise légalement sur le fond. La cour administrative d’appel annule la décision de non-renouvellement pour vice de procédure, mais rejette les conclusions indemnitaires de l’agent relatives à la perte de son emploi, considérant que la faute de l’administration est sans lien de causalité avec ce préjudice.
La solution retenue par la cour administrative d’appel met en lumière l’importance cardinale des garanties procédurales dans le cadre d’une mesure prise en considération de la personne de l’agent (I), tout en adoptant une approche restrictive de ses conséquences indemnitaires (II).
I. L’affirmation rigoureuse des garanties procédurales encadrant le non-renouvellement
La cour administrative d’appel censure la décision de non-renouvellement en se fondant sur la violation de deux garanties substantielles. Elle réaffirme ainsi le droit pour l’agent de présenter des observations préalables (A) avant de consacrer l’obligation pour l’administration de le mettre en mesure de consulter son dossier (B).
A. La réaffirmation du droit aux observations préalables
La juridiction d’appel rappelle qu’un agent recruté en contrat à durée déterminée ne possède aucun droit au renouvellement de son contrat. Toutefois, elle précise que la décision de ne pas le renouveler doit reposer sur un motif tiré de l’intérêt du service. Lorsque ce motif est lié à la personne de l’agent, des garanties spécifiques doivent être respectées. La cour souligne que « la circonstance que des considérations relatives à la personne de l’agent soient par ailleurs susceptibles de justifier une sanction disciplinaire ne fait pas obstacle, par elle-même, à ce qu’une décision de non renouvellement du contrat soit légalement prise, pourvu que l’intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations ». En l’espèce, l’établissement hospitalier fondait sa décision sur les problèmes d’attitude et de comportement de l’agent. La cour constate que, bien qu’une convocation à un entretien ait été envoyée, l’agent n’a pas été effectivement mis en mesure de présenter sa défense, notamment en raison d’un arrêt maladie. Cette approche pragmatique confirme que la garantie n’est pas une simple formalité, mais une protection effective qui impose à l’administration de s’assurer de sa correcte mise en œuvre.
B. La consécration du droit d’accès au dossier
La cour ne s’arrête pas à la seule violation du principe du contradictoire. Elle examine également le moyen tiré de la méconnaissance du droit à la communication du dossier, garanti par l’article 65 de la loi du 22 avril 1905. Ce texte impose qu’un agent public, avant de faire l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, soit averti en temps utile afin de pouvoir demander la communication de son dossier. La cour relève qu’aucune pièce ne démontre que l’agent a été informée de son droit ni mise en mesure de l’exercer avant que la décision de non-renouvellement ne soit prise. En jugeant que l’agent a été privé d’une garantie, la cour renforce la protection des agents contractuels face à des décisions qui, sans être formellement disciplinaires, sont motivées par leur comportement. L’annulation de la décision pour un double vice de procédure témoigne d’une volonté de sanctionner fermement tout manquement aux droits de la défense, quel que soit le bien-fondé de la mesure sur le fond.
II. Les conséquences indemnitaires limitées de l’illégalité procédurale
Après avoir annulé la décision contestée, la cour examine les demandes de réparation de l’agent. Elle écarte la qualification de faute pour plusieurs agissements de l’administration (A) avant d’opérer une dissociation entre l’illégalité procédurale commise et le préjudice résultant de la perte d’emploi (B).
A. Le rejet des autres fautes administratives alléguées
La requérante invoquait plusieurs fautes distinctes de la part de son employeur. Elle soutenait notamment que son changement d’affectation antérieur constituait une sanction déguisée. La cour écarte ce moyen en jugeant la mesure justifiée par l’intérêt du service, à savoir la nécessité de remédier à la dégradation des relations de travail. De même, la juridiction administrative rejette la demande fondée sur une prétendue promesse de recrutement en contrat à durée indéterminée, faute pour l’agent de rapporter la preuve d’un « engagement ferme, précis et inconditionnel ». Enfin, les allégations de harcèlement moral sont également écartées, la cour estimant que les éléments produits ne permettent pas de présumer l’existence d’agissements constitutifs de harcèlement. Cette analyse factuelle démontre que si la cour se montre stricte sur le respect de la procédure, elle n’en demeure pas moins exigeante quant à la preuve des fautes de l’administration.
B. La neutralisation du lien de causalité entre la faute procédurale et le préjudice
Le point le plus notable de l’arrêt réside dans le raisonnement tenu par la cour concernant le préjudice né du non-renouvellement illégal. La juridiction reconnaît que les vices de procédure ayant entaché la décision constituent une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. Cependant, elle refuse d’indemniser l’agent pour la perte de son emploi. La cour juge en effet que, « nonobstant les illégalités externes entachant la décision du 2 septembre 2020, la même mesure aurait pu être légalement prise par l’administration ». Se fondant sur les appréciations dégradées du savoir-être et des compétences de l’agent, elle conclut qu’il « n’existe donc pas de lien de causalité entre ces illégalités et les préjudices dont elle se prévaut ». Cette solution revient à considérer que l’agent a été privé d’une garantie, ce qui constitue une faute, mais qu’il n’a perdu aucune chance sérieuse de conserver son emploi, car la décision de non-renouvellement était matériellement justifiée. Une telle dissociation protège les deniers publics d’indemnisations pour des fautes purement procédurales, mais elle limite considérablement la portée de l’annulation contentieuse pour l’agent concerné, qui obtient une satisfaction de principe sans compensation financière pour la perte de son activité professionnelle.