Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 11 juillet 2025, n°23BX00763

La Cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt rendu le 11 juillet 2025, se prononce sur la légalité du retrait d’une aide financière. Après le passage d’un ouragan dévastateur, un établissement public a sollicité des subventions européennes pour restaurer les réseaux d’eau potable et d’assainissement. L’administration a initialement versé les fonds avant de déclarer les dépenses inéligibles en raison d’un manquement présumé aux règles de la commande publique.

L’établissement public a contesté cette décision devant le tribunal administratif qui a rejeté ses demandes par un jugement rendu le 15 décembre 2022. La juridiction d’appel doit déterminer si l’administration peut retirer une subvention au-delà du délai de quatre mois sans prouver la fin de l’urgence. La Cour censure le retrait tardif de la subvention en soulignant l’absence de preuve probante quant à la cessation des circonstances exceptionnelles.

Ce litige sera analysé à travers la protection de la sécurité juridique des bénéficiaires de subventions (I), puis par l’appréciation des dérogations aux procédures de marchés (II).

I. La protection de la sécurité juridique face au retrait des subventions

A. Le caractère créateur de droits de la décision d’octroi

Le juge administratif rappelle un principe fondamental régissant les relations entre l’administration et les administrés pour garantir la stabilité des situations juridiques. Selon la jurisprudence constante, « l’attribution d’une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire » dès sa notification régulière. Cette règle assure une sécurité financière nécessaire à la réalisation des projets d’intérêt général engagés par les diverses entités publiques locales.

Toutefois, cette protection dépend du respect scrupuleux des conditions fixées lors de l’octroi de l’aide financière par l’autorité de mise en œuvre. L’administration peut « retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n’ont pas été respectées » par l’organisme bénéficiaire. Ce mécanisme garantit le bon usage des deniers publics conformément aux objectifs initiaux définis dans la convention-cadre signée par les parties.

B. L’encadrement temporel strict du pouvoir de retrait

Le code des relations entre le public et l’administration limite le retrait des actes créateurs de droits à un délai de quatre mois. Dans cette affaire, le représentant de l’État a procédé au retrait de la subvention attribuée « après l’expiration du délai de quatre mois » légal. Cette tardiveté entache la décision d’illégalité si l’existence d’un manquement aux conditions d’octroi n’est pas démontrée de manière certaine.

L’administration ne peut s’affranchir de ce délai que si une condition résolutoire prévue dans l’acte n’est pas effectivement remplie par le demandeur. En l’absence de preuve d’un manquement aux règles de la commande publique, le délai de droit commun s’impose pour protéger la confiance légitime. L’analyse doit alors porter sur la réalité de l’urgence invoquée pour justifier l’absence de mise en concurrence lors de la passation.

II. L’appréciation souveraine de l’urgence impérieuse dans la commande publique

A. La légitimité du recours aux marchés sans publicité ni concurrence

Le droit des marchés publics autorise des procédures simplifiées en cas d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour l’acheteur public concerné. Le passage d’un ouragan d’une violence extrême constitue manifestement un tel événement justifiant une réactivité immédiate pour rétablir les réseaux essentiels. L’établissement public a ainsi conclu des marchés de travaux sans publicité préalable pour réparer les branchements d’eau endommagés par la catastrophe.

L’administration avait initialement admis cette situation en indiquant que le contrôle de légalité serait exercé avec « toute la souplesse nécessaire » par les services. Cette tolérance reconnaît la difficulté de respecter les délais normaux de mise en concurrence dans un contexte de crise humanitaire et technique. La validité de la subvention reposait donc sur l’existence réelle de cette urgence exceptionnelle au moment de la signature des contrats.

B. La charge de la preuve pesant sur l’administration

Le litige porte sur la date précise à laquelle la situation d’urgence impérieuse doit être considérée comme ayant pris fin sur le territoire. L’administration soutenait que cette période exceptionnelle avait cessé dès octobre 2017, rendant irréguliers les marchés conclus en décembre de la même année. Cependant, le juge estime qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que la situation d’urgence impérieuse avait cessé ».

Les arguments relatifs au rétablissement partiel des services publics sont jugés insuffisants pour caractériser la fin réelle des difficultés opérationnelles majeures subies. Faute de démontrer l’irrégularité des marchés, l’État ne pouvait légalement retirer la subvention au motif d’un non-respect des conditions d’octroi initiales. L’arrêt consacre ainsi une protection renforcée du bénéficiaire contre les revirements d’appréciation tardifs de l’autorité administrative sur la légalité des procédures.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture