La cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu, le 11 juillet 2025, un arrêt relatif à la responsabilité d’une collectivité territoriale pour défaut de protection de la biodiversité. Une association de défense de l’environnement reprochait à l’administration de ne pas assurer une surveillance suffisante des plages de ponte des tortues marines sur son territoire. Après un rejet de sa demande indemnitaire par le tribunal administratif de Mayotte le 10 mai 2023, la requérante sollicitait la réparation de ses préjudices moraux et écologiques. La juridiction d’appel devait déterminer si l’insuffisance alléguée des mesures de lutte contre le braconnage constituait une méconnaissance des principes de précaution et de prévention. L’arrêt écarte l’application du principe de précaution au profit d’une analyse concrète des moyens déployés par la collectivité pour satisfaire à ses obligations environnementales. Il convient d’étudier la délimitation rigoureuse des principes constitutionnels invoqués avant d’analyser l’absence de carence fautive retenue par les juges d’appel.
I. La délimitation rigoureuse des principes constitutionnels de protection environnementale
A. L’inopérance du principe de précaution face à des risques avérés
Les juges bordelais soulignent que le principe de précaution est applicable lorsqu’un risque de dommage grave et irréversible présente un caractère incertain en l’état des connaissances. Toutefois, ce principe « ne saurait être utilement invoqué lorsque la réalité et la portée de tels risques ne présentent pas un caractère hypothétique ». En l’espèce, les dangers pesant sur les tortues marines comme le braconnage ou la prédation sont parfaitement « connus et évalués » par les rapports scientifiques locaux. Dès lors, la cour administrative d’appel juge le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution inopérant puisque le risque n’est pas affecté d’une incertitude. Cette clarification permet d’orienter le débat juridique vers le respect des obligations de vigilance active incombant à l’autorité administrative.
B. L’appréciation concrète de l’obligation de prévention
L’arrêt se fonde sur le principe de prévention qui impose de limiter les conséquences des atteintes que toute personne peut porter à l’environnement. Cette obligation de vigilance s’inscrit dans le cadre des dispositions du code de l’environnement visant l’absence de perte nette de biodiversité. La juridiction administrative effectue un contrôle de l’adéquation des mesures sans toutefois exiger une obligation de résultat absolue en matière de préservation des espèces. L’appréciation des magistrats repose sur la balance entre les objectifs de protection et les « meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ». La caractérisation d’une faute simple de l’administration dépend ainsi de l’examen détaillé des actions matérielles mises en œuvre sur le terrain.
II. L’absence de carence fautive dans la gestion de la biodiversité insulaire
A. La reconnaissance des mesures effectives de surveillance des espèces protégées
L’administration territoriale a démontré l’existence de mesures concrètes telles que le déploiement d’agents de surveillance nocturne équipés de matériel de vision thermique sur les plages. La cour administrative d’appel de Bordeaux relève également la participation active de la collectivité à des réseaux de suivi scientifique et à des campagnes de sensibilisation. Ces actions diversifiées manifestent une réelle volonté de protection conformément au plan d’aménagement et de développement durable adopté par l’organe délibérant du territoire. Pour les juges, l’association requérante « n’établit pas que les mesures prises ne seraient ni appropriées ni suffisantes » pour réduire l’impact néfaste du braconnage. Cette validation des efforts administratifs écarte la responsabilité pour faute malgré la persistance de dommages environnementaux regrettables mais extérieurs à l’action publique.
B. Les limites de la responsabilité administrative face à la persistance du braconnage
L’arrêt confirme une approche réaliste de la responsabilité administrative en tenant compte des difficultés matérielles inhérentes à la surveillance d’un vaste espace littoral. Malgré la persistance de captures illégales, la cour estime que l’augmentation du nombre de pontes sur certains sites atteste de l’efficacité des moyens engagés. Cette solution limite la portée d’une reconnaissance de carence fautive aux seuls cas de négligences manifestes ou d’inaction totale de la part de l’autorité. La décision préserve ainsi une marge de manœuvre pour les collectivités territoriales tout en réaffirmant l’importance du cadre législatif protégeant les espèces en danger. Le rejet des conclusions indemnitaires souligne la difficulté pour les associations de prouver une insuffisance caractérisée des moyens publics dans des contextes géographiques complexes.