Par un arrêt en date du 11 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale. En l’espèce, un ressortissant ivoirien, entré sur le territoire français en 2020 alors qu’il était mineur, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après avoir obtenu un certificat d’aptitude professionnelle et une promesse d’embauche. Le préfet de la Gironde a rejeté sa demande par un arrêté du 21 septembre 2023, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté sa demande par un jugement du 1er octobre 2024. Soutenant que la décision du préfet était entachée d’un défaut d’examen, d’une violation de l’article L. 423-23 précité ainsi que de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et d’une erreur manifeste d’appréciation, l’intéressé a interjeté appel de ce jugement. Il se posait donc à la cour administrative d’appel la question de savoir si des efforts d’intégration professionnelle, matérialisés par l’obtention d’un diplôme et une promesse d’emploi, suffisaient à caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale justifiant l’annulation du refus de séjour opposé à un étranger en situation irrégulière. La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la requête, considérant que les éléments relatifs à l’insertion professionnelle ne sauraient, à eux seuls, établir que le centre des intérêts privés et familiaux du requérant se trouve en France. Elle juge que, malgré ces efforts, le refus de titre de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, compte tenu de l’irrégularité de son séjour et de l’absence de justification de liens personnels intenses en France ou d’un isolement dans son pays d’origine.
La décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux illustre une application rigoureuse des critères d’appréciation du droit au séjour au titre de la vie privée et familiale (I), réaffirmant ainsi la marge d’appréciation de l’autorité préfectorale dans la mise en balance des intérêts en présence (II).
I. L’appréciation restrictive des conditions du droit au séjour
La cour opère une analyse détaillée des éléments de la vie privée et familiale, soulignant le caractère nécessaire mais insuffisant de l’intégration professionnelle (A) au profit d’une conception plus traditionnelle centrée sur la prépondérance des attaches personnelles (B).
A. Le caractère insuffisant de l’intégration professionnelle
Le juge administratif prend acte des efforts déployés par le requérant pour s’intégrer par le travail. Il relève ainsi l’obtention d’un certificat d’aptitude professionnelle de jardinier paysagiste et l’existence d’une promesse d’embauche. Cependant, la cour écarte rapidement ces éléments comme étant déterminants. Elle considère que ces faits « ne suffisent pas, à eux-seuls, à établir que l’intéressé a fixé le centre de ses intérêts privés en France ». Cette formule révèle que si l’insertion par l’activité professionnelle est bien un critère d’appréciation prévu par la loi, il ne constitue qu’un indice parmi d’autres et ne peut fonder, de manière autonome, un droit au séjour. Le juge refuse de faire de la réussite professionnelle un élément prépondérant qui obligerait l’administration à délivrer un titre, cantonnant celle-ci à un simple paramètre dans une évaluation globale.
B. La prééminence des attaches personnelles et familiales
En contrepoint, l’arrêt met l’accent sur les lacunes du dossier du requérant quant à la démonstration de ses liens en France. La cour relève que, bien que produisant des attestations de familles l’ayant hébergé, l’intéressé « ne justifie pas de l’intensité de ces relations pas plus qu’il ne fait état d’attaches familiales ou de relations amicales en France ». De plus, elle souligne qu’il « ne justifie pas davantage être isolé en Côte d’Ivoire où il a au moins vécu jusqu’à l’âge de seize ans ». Par cette analyse, le juge réaffirme que le cœur de la notion de vie privée et familiale réside dans des liens d’une certaine densité et stabilité, ainsi que dans une rupture significative avec le pays d’origine. L’absence de preuve de ces deux aspects fait ainsi obstacle à ce que la situation du requérant puisse basculer en sa faveur.
Cette application rigoureuse des critères légaux conforte in fine la validité de la décision administrative, en consacrant une conception extensive du pouvoir discrétionnaire du préfet.
II. La validation du pouvoir d’appréciation de l’administration
L’arrêt confirme la latitude dont dispose le préfet pour pondérer les différents éléments d’une situation personnelle, en faisant de l’irrégularité du séjour un facteur dirimant (A) et en exerçant un contrôle restreint sur l’appréciation portée (B).
A. La prévalence de l’irrégularité du séjour dans la balance des intérêts
La cour prend soin de noter que le requérant « n’établit pas avoir séjourné régulièrement en France depuis qu’il est entré sur le territoire ». Ce rappel n’est pas anodin ; il constitue un élément central de la balance des intérêts opérée dans le cadre du contrôle de proportionnalité. L’irrégularité de la présence sur le territoire pèse lourdement en défaveur du demandeur, face à l’objectif de maîtrise des flux migratoires poursuivi par l’autorité administrative. La décision enseigne ainsi que des efforts d’intégration, même réels, ne peuvent effacer ou compenser la situation administrative irrégulière de l’étranger. L’atteinte portée à la vie privée et familiale est jugée proportionnée au regard des « buts poursuivis par la décision », parmi lesquels figure implicitement mais certainement la lutte contre l’immigration irrégulière.
B. La portée limitée du contrôle juridictionnel
Face aux moyens soulevés par le requérant, la réponse de la cour témoigne d’un contrôle limité. Concernant le défaut d’examen, elle juge que « la seule circonstance que le préfet n’ait pas explicitement mentionné les attaches qu’il a en France (…) n’est pas de nature à caractériser un tel défaut ». Cette position offre une souplesse procédurale notable à l’administration, qui n’est pas tenue de motiver sa décision en répondant point par point à chaque élément favorable de la situation de l’étranger. De même, en écartant l’erreur manifeste d’appréciation « pour ces mêmes motifs » que ceux ayant conduit à écarter la violation de l’article 8 de la convention, la cour confirme qu’elle n’exerce qu’un contrôle restreint. Elle ne substitue pas sa propre appréciation à celle du préfet, mais vérifie seulement que celle-ci n’est pas manifestement disproportionnée. La décision préfectorale, bien que sévère au regard du parcours d’intégration du requérant, est ainsi jugée comme n’excédant pas le large pouvoir d’appréciation reconnu à l’administration en la matière.