Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 12 juin 2025, n°24BX00849

Par un arrêt en date du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué sur la compétence du juge d’appel pour connaître d’un litige relatif à l’exécution d’une ordonnance de premier et dernier ressort. En l’espèce, une professeure s’était vu accorder par une ordonnance du tribunal administratif de Mayotte le versement d’une indemnité de sujétion géographique. Face à l’exécution jugée partielle de cette décision par l’administration, elle a de nouveau saisi le tribunal administratif afin d’obtenir le paiement intégral des sommes dues, ainsi que le prononcé d’une astreinte pour garantir l’effectivité de l’injonction.

Par un jugement du 5 janvier 2024, le tribunal administratif de Mayotte a ordonné le versement d’une partie des sommes réclamées mais a rejeté les conclusions tendant au prononcé d’une astreinte et à l’indemnisation des frais de procédure. La requérante a donc interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, contestant le refus du tribunal de définir des mesures d’exécution contraignantes et de faire droit à sa demande au titre des frais irrépétibles. La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si elle était compétente pour statuer sur l’appel d’un jugement qui se prononce sur les mesures d’exécution d’une ordonnance rendue en premier et dernier ressort.

La cour administrative d’appel répond par la négative, en se déclarant incompétente pour connaître de l’ensemble des conclusions. Elle juge que les voies de recours contre une décision d’exécution sont identiques à celles de la décision initiale dont l’exécution est demandée. Par conséquent, l’ordonnance originelle ayant été rendue en premier et dernier ressort, l’appel du jugement statuant sur son exécution échappe à sa compétence. La cour décide alors de transmettre les conclusions relatives au fond du droit au Conseil d’État et de renvoyer celles concernant les mesures d’exécution au tribunal administratif.

Cette décision illustre une application rigoureuse des règles de compétence contentieuse, rappelant le lien indissociable entre la décision principale et sa procédure d’exécution (I). Elle conduit toutefois à une ventilation de la procédure qui, si elle est juridiquement fondée, interroge sur ses conséquences pratiques pour le justiciable (II).

I. L’incompétence de la cour d’appel, conséquence du lien entre l’instance d’exécution et le jugement initial

La cour administrative d’appel de Bordeaux fonde son incompétence sur le principe selon lequel la procédure d’exécution emprunte les voies de recours de la décision dont elle découle (A), ce qui confirme une application stricte des règles de compétence d’attribution (B).

A. L’attraction de la procédure d’exécution par le régime de la décision initiale

La cour rappelle dans son considérant 4 un principe essentiel de la procédure administrative contentieuse : « la procédure prévue par l’article L. 911-4 du code de justice administrative se rattache à la même instance contentieuse que celle qui a donné lieu à la décision juridictionnelle dont il est demandé au juge d’assurer l’exécution ». Ce faisant, elle souligne que la demande d’exécution n’est pas une nouvelle instance autonome, mais le prolongement de la première. Le juge de l’exécution est donc déterminé par la nature de la décision à exécuter.

En l’espèce, la décision initiale était une ordonnance prise sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. Or, en vertu de l’article R. 811-1 du même code, de telles ordonnances sont rendues « en premier et dernier ressort », ce qui signifie qu’elles ne sont pas susceptibles d’appel. La seule voie de recours ouverte est le pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. La cour applique donc une logique implacable : si la décision principale n’est pas susceptible d’appel, le jugement statuant sur ses difficultés d’exécution ne peut l’être davantage. L’appel formé par la requérante était par conséquent irrecevable.

B. La confirmation d’une logique procédurale rigoureuse

En retenant une telle solution, la cour fait prévaloir la cohérence de l’organisation juridictionnelle. Elle évite qu’un litige jugé en premier et dernier ressort par un tribunal administratif puisse, par le biais d’une demande d’exécution, être porté devant une cour administrative d’appel. Une solution contraire aurait créé une rupture dans la hiérarchie des normes procédurales et aurait permis de contourner les règles de compétence définies par le code de justice administrative. Le juge d’appel n’est pas le juge de l’exécution d’une décision insusceptible d’appel.

La motivation de l’arrêt s’appuie fermement sur la combinaison des articles L. 911-4, R. 811-1 et R. 222-1 du code de justice administrative. Cette articulation démontre que la compétence en matière d’exécution est une compétence d’attribution, non susceptible d’extension. La décision ne crée pas de droit nouveau mais réaffirme une solution orthodoxe qui garantit la sécurité juridique et la bonne administration de la justice, en assurant que chaque juridiction statue dans les limites strictes de ses attributions.

Cette déclaration d’incompétence n’éteint cependant pas les recours de la requérante, mais les redirige, engendrant une division du contentieux dont les effets méritent d’être analysés.

II. Les conséquences procédurales de l’incompétence déclarée

La décision de la cour administrative d’appel, bien que juridiquement fondée, aboutit à une scission du litige (A), ce qui peut se traduire par un allongement du parcours contentieux pour le justiciable (B).

A. La ventilation des conclusions entre les juridictions compétentes

Plutôt que de rejeter purement et simplement la requête pour incompétence, la cour fait application des mécanismes de transmission prévus par le code de justice administrative. Elle opère une distinction subtile entre les différentes conclusions de la requérante. D’une part, les conclusions relatives au refus du tribunal d’allouer une somme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont considérées comme contestant le bien-fondé du jugement sur une question de droit. À ce titre, elles relèvent du pourvoi en cassation et sont donc transmises au Conseil d’État.

D’autre part, les conclusions demandant à la cour de prononcer elle-même une astreinte relèvent de la définition des mesures d’exécution. La cour juge qu’en application de l’article R. 921-2 du code de justice administrative, c’est à la juridiction qui a rendu la décision initiale, soit le tribunal administratif de Mayotte, de statuer sur ce point. Elle lui renvoie donc cette partie de la requête. Cette ventilation assure que chaque question est examinée par le juge compétent, conformément aux règles de procédure.

B. L’allongement potentiel du parcours contentieux pour le justiciable

Si cette répartition des compétences est irréprochable sur le plan technique, elle n’est pas sans conséquence pour la requérante. Son recours initial, qui visait à obtenir une exécution rapide et complète d’une décision de justice, se trouve fragmenté en deux procédures distinctes devant deux juridictions différentes. D’un côté, le Conseil d’État examinera la question des frais irrépétibles ; de l’autre, le tribunal administratif se prononcera à nouveau sur l’opportunité d’une astreinte.

Cette situation illustre la tension entre la rigueur procédurale et l’objectif d’une justice efficace et lisible. Pour le justiciable, qui fait face à la résistance de l’administration dans l’exécution d’une décision qui lui est favorable, ce détour procédural peut être perçu comme une source de complexité et de délais supplémentaires. Alors que la procédure d’exécution est conçue pour garantir l’effectivité des jugements, son articulation avec les règles de compétence peut paradoxalement ralentir l’obtention d’une satisfaction complète. L’arrêt met ainsi en lumière les limites d’un système où la pureté juridique peut parfois se faire au détriment de la célérité attendue par les citoyens.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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