Par un arrêt en date du 13 février 2025, une cour administrative d’appel a statué sur les conséquences de l’inexécution d’un jugement d’annulation d’une mesure d’éviction concernant un agent public contractuel.
En l’espèce, un professeur contractuel, dont le contrat de trois ans devait s’achever le 31 août 2020, a fait l’objet d’une décision de non-reconduction de son contrat en date du 20 juillet 2018, suivie d’un licenciement pour insuffisance professionnelle notifié le 26 avril 2019. Par un jugement du 24 décembre 2020, le tribunal administratif a annulé ces deux décisions sans toutefois prononcer d’injonction. L’agent a alors saisi de nouveau le tribunal administratif sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, afin d’obtenir l’exécution du jugement, la régularisation de sa situation financière et l’indemnisation de ses préjudices. Par un second jugement du 15 décembre 2022, le tribunal a estimé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande d’exécution et a rejeté le surplus des conclusions. L’agent a interjeté appel de ce second jugement, soutenant que l’annulation de son éviction impliquait nécessairement sa réintégration, au moins juridique, ainsi que la reconstitution de sa carrière et la régularisation de sa situation financière.
Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si l’annulation contentieuse d’une mesure d’éviction d’un agent contractuel, en l’absence d’injonction, ouvre droit à une réintégration et à une réparation financière au stade de l’exécution, alors que le contrat à durée déterminée de l’intéressé est arrivé à son terme et que la demande indemnitaire n’avait pas été formulée dans l’instance initiale.
La cour rejette la requête de l’agent. Elle juge d’une part que l’obligation de réintégration, bien que découlant en principe de l’annulation, est limitée par la date à laquelle le contrat aurait normalement pris fin. D’autre part, elle considère que les conclusions indemnitaires, n’ayant pas été présentées lors de l’instance initiale en annulation, soulèvent un litige distinct qui ne relève pas de la procédure d’exécution du jugement. Cette décision clarifie ainsi les limites de l’obligation de réintégration de l’agent contractuel (I) tout en rappelant la nécessaire distinction entre le contentieux de l’annulation et le contentieux indemnitaire (II).
I. La portée limitée de l’obligation de réintégration consécutive à une annulation
La cour administrative d’appel, tout en rappelant le principe du droit à la réintégration de l’agent irrégulièrement évincé (A), en précise les limites temporelles lorsque le contrat de l’agent est arrivé à son terme (B).
A. Le principe rappelé de la réintégration de l’agent irrégulièrement évincé
L’annulation d’un acte administratif par le juge de l’excès de pouvoir a un effet rétroactif. L’acte est réputé n’être jamais intervenu, ce qui a pour conséquence de rétablir la situation juridique antérieure. Appliqué à l’éviction d’un agent public, ce principe implique logiquement que l’administration est tenue de le réintégrer juridiquement et, si possible, matériellement. La cour le rappelle en affirmant que « l’annulation par le juge administratif d’une décision d’éviction du service d’un agent public implique en principe la réintégration de l’intéressé par l’administration à la date de l’éviction ». Cette obligation constitue la conséquence directe et nécessaire de la chose jugée par le tribunal administratif dans sa décision du 24 décembre 2020.
L’agent requérant se prévalait de ce principe pour soutenir que l’administration aurait dû procéder à sa réintégration, au moins juridique, ce qui aurait entraîné la reconstitution de sa carrière pour la période courant de son éviction jusqu’au terme de son contrat. Cette demande visait à obtenir la régularisation de sa situation administrative, notamment par la délivrance de fiches de paie rectifiées, et le paiement des salaires correspondants. Le raisonnement de l’agent se fonde sur l’idée que l’annulation contentieuse suffit, à elle seule, à créer une obligation d’exécution à la charge de l’administration, même sans injonction du juge. Toutefois, la cour tempère fortement la portée de cette obligation.
B. La limitation de l’obligation de réintégration par le terme du contrat
La cour apporte une précision essentielle en soulignant que le droit à la réintégration doit s’apprécier au regard de la situation contractuelle de l’agent. Elle juge que « cette réintégration doit être ordonnée sous réserve de l’examen de la date à laquelle le contrat aurait normalement pris fin si la mesure d’éviction illégale n’était pas intervenue ». En l’espèce, le contrat de l’agent arrivait à échéance le 31 août 2020. Le jugement d’annulation ayant été rendu le 24 décembre 2020, soit postérieurement au terme contractuel, l’obligation de réintégration était devenue sans objet. L’administration ne pouvait être contrainte de réintégrer un agent dans un emploi qui, par l’effet de l’arrivée du terme de son contrat, n’existait plus.
Cette solution pragmatique illustre la différence de situation entre un fonctionnaire, titulaire de son grade et bénéficiant d’un droit à la carrière, et un agent contractuel dont la relation de travail est par nature précaire et limitée dans le temps. Pour ce dernier, l’annulation de l’éviction ne peut avoir pour effet de prolonger la relation contractuelle au-delà du terme initialement convenu. La cour en déduit logiquement qu’il n’y a pas lieu d’ordonner de mesure d’exécution, telle qu’une astreinte, pour une obligation que l’administration n’est plus en mesure de satisfaire. La portée de l’annulation se trouve ainsi circonscrite aux seuls effets qu’elle aurait pu produire durant la période de validité du contrat.
II. Le rejet de la demande indemnitaire fondée sur l’exécution d’un jugement d’annulation
Au-delà de la question de la réintégration, la cour rejette également les prétentions financières de l’agent, en se fondant sur une distinction rigoureuse entre le contentieux de l’annulation et le contentieux indemnitaire (A), ce qui conduit à déclarer irrecevable une demande nouvelle en phase d’exécution (B).
A. La distinction entre le contentieux de l’annulation et le contentieux indemnitaire
La juridiction administrative rappelle une distinction fondamentale du contentieux administratif. Le recours pour excès de pouvoir, qui a conduit au jugement d’annulation du 24 décembre 2020, vise uniquement à obtenir l’annulation d’une décision illégale. Le juge se borne à vérifier la légalité de l’acte attaqué et ne peut, de sa propre initiative, accorder une indemnité. En revanche, le recours de plein contentieux permet au requérant de demander au juge non seulement l’annulation d’une décision, mais aussi la condamnation de l’administration à réparer un préjudice.
Dans cette affaire, la cour relève que le tribunal administratif « n’a été saisi par M. A…, dans l’instance ayant donné lieu au jugement dont l’exécution est demandée, que de conclusions tendant à l’annulation » des décisions d’éviction. En ne formulant aucune demande indemnitaire dans son recours initial, l’agent a limité l’office du juge à la seule question de la légalité des actes. Par conséquent, les conclusions présentées ultérieurement, visant à obtenir réparation des préjudices subis, ne peuvent être considérées comme une simple mesure d’exécution de ce jugement d’annulation.
B. L’irrecevabilité d’une demande indemnitaire nouvelle en phase d’exécution
La conséquence de cette distinction procédurale est directe. La cour juge que les conclusions du requérant tendant à la condamnation de l’administration à lui verser des indemnités « soulèvent un litige distinct qui ne se rapporte pas à l’exécution du jugement du 24 décembre 2020 ». La procédure d’exécution prévue par l’article L. 911-4 du code de justice administrative a pour unique objet d’assurer la mise en œuvre des mesures décidées par le juge dans une décision antérieure. Elle ne permet pas d’introduire une demande nouvelle qui n’a pas été préalablement soumise au juge du fond.
Cette solution, classique, a une portée pédagogique. Elle rappelle aux justiciables que pour obtenir la réparation d’un préjudice causé par une décision illégale, il est nécessaire de présenter des conclusions indemnitaires en temps utile. L’agent irrégulièrement évincé disposait de deux voies : soit joindre une demande de réparation à son recours en annulation initial, soit introduire une action en responsabilité distincte une fois l’illégalité de l’éviction établie par le juge de l’excès de pouvoir. En omettant de le faire et en tentant d’obtenir cette réparation par la voie d’une demande d’exécution, le requérant s’est heurté à une irrecevabilité procédurale, la cour n’ayant pas compétence « pour en connaître dans le cadre de la présente instance ». L’arrêt confirme ainsi que la procédure d’exécution ne saurait servir à pallier les oublis ou les stratégies procédurales des parties lors de l’instance principale.