Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 13 mars 2025, n°24BX02051

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu, le 13 mars 2025, une décision précisant les conditions de légalité des mesures d’éloignement et des interdictions de retour. Deux ressortissants étrangers, dont les demandes d’asile avaient été définitivement rejetées, contestaient des arrêtés préfectoraux leur imposant de quitter le territoire français sous trente jours. Ces actes prévoyaient également une interdiction de retour d’un an et une obligation de présentation hebdomadaire aux services de police. Le tribunal administratif de Pau avait rejeté l’intégralité de leurs demandes par un jugement du 24 juillet 2024. Les requérants soutenaient devant la juridiction d’appel que les premiers juges avaient omis de répondre à certains moyens et méconnu la réalité de leur intégration. La question posée à la cour portait sur la régularité du jugement de première instance et sur l’appréciation des attaches privées après un séjour de courte durée. La cour annule partiellement le jugement pour irrégularité procédurale avant de rejeter, au fond, les prétentions des administrés. L’examen portera d’abord sur la rigueur du cadre procédural administratif avant d’analyser la proportionnalité des mesures de police des étrangers.

I. L’exigence de régularité juridictionnelle dans le traitement du contentieux de l’éloignement

A. Le rappel des conditions de l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle

La cour confirme le rejet des conclusions tendant à l’admission provisoire à l’aide juridique faute de justification d’une demande préalable auprès du bureau compétent. Elle s’appuie sur le décret du 28 décembre 2020 stipulant que l’admission provisoire peut être accordée « soit sur une demande présentée sans forme, soit d’office ». Les requérants ne rapportaient pas la preuve du dépôt d’un dossier alors qu’ils étaient déjà représentés par un conseil lors de la première instance. Cette solution souligne la responsabilité des parties dans la mise en œuvre des dispositifs de soutien financier nécessaires à l’exercice de leurs droits. Le juge administratif refuse ainsi de suppléer la carence des administrés qui ne respectent pas les formes minimales prescrites par les textes réglementaires. La régularité de la procédure contentieuse dépend alors strictement de la diligence des requérants et de leur avocat dès l’introduction de l’instance initiale.

B. La sanction de l’omission à statuer sur le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation

Le jugement du tribunal administratif de Pau est partiellement annulé car les premiers juges n’ont pas répondu au moyen critiquant l’interdiction de retour. Le tribunal avait statué sur une insuffisance de motivation non soulevée, tout en délaissant l’examen de l’erreur manifeste d’appréciation pourtant invoquée par les parties. La cour relève que « le tribunal n’a pas répondu à ce moyen » alors que celui-ci n’était pas inopérant pour la solution du litige. Cette irrégularité oblige la juridiction d’appel à faire usage de son pouvoir d’évocation pour statuer directement sur les conclusions relatives à l’interdiction de retour. Le respect du caractère contradictoire et de l’obligation de répondre aux moyens constitue une garantie fondamentale du droit au recours effectif des étrangers. Cette erreur de droit commise par les juges de première instance justifie la réformation partielle de leur décision sans pour autant préjuger du fond.

II. La proportionnalité des mesures de police au regard de la situation personnelle des étrangers

A. Une appréciation stricte de l’intégration privée au regard de la brièveté du séjour

L’arrêt écarte la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme malgré les efforts d’insertion invoqués par les intéressés. Les requérants mettaient en avant leur apprentissage du français, des engagements bénévoles et leur présence sur le territoire national depuis dix-huit mois. La cour juge toutefois que ces éléments ne suffisent pas à établir des attaches personnelles disproportionnées, dès lors que les requérants ont vécu l’essentiel de leur vie à l’étranger. Les juges soulignent que les intéressés « n’établissent ni même n’allèguent être dépourvus » d’attaches dans leur pays d’origine, où ils sont nés et ont grandi. La protection de la vie privée ne saurait ainsi faire obstacle à l’éloignement lorsque le séjour en France demeure récent et précaire. L’absence de revenus déclarés et le caractère limité des liens sociaux développés confirment la légalité de l’obligation de quitter le territoire français.

B. Le contrôle des critères cumulatifs de l’interdiction de retour sur le territoire

La décision valide l’interdiction de retour d’un an en vérifiant l’application scrupuleuse des dispositions de l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Le préfet doit tenir compte de la durée de présence, de la nature des liens avec la France et de l’éventuelle menace pour l’ordre public. Bien que le comportement des intéressés ne trouble pas l’ordre public, leur faible ancienneté sur le territoire justifie légalement le principe de l’interdiction. La cour précise que l’autorité administrative n’est pas tenue de mentionner expressément l’absence de menace si elle ne retient pas ce critère contre l’étranger. L’appréciation souveraine du préfet, sous le contrôle du juge, permet de sanctionner l’absence de droit au séjour par une mesure d’éloignement durablement contraignante. L’interdiction de retour est ici jugée proportionnée à la situation de deux adultes n’ayant aucune charge familiale ni attache particulière dans la société française.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture