Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 14 janvier 2025, n°23BX03195

La Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée le 14 janvier 2025 sur la responsabilité sans faute de l’État suite à des dégradations commerciales. Durant la nuit du 18 au 19 novembre 2018, au Port, un établissement de vente de motocyclettes a subi un vol important par effraction. Les auteurs ont utilisé une meuleuse pour forcer le rideau métallique avant de dérober des véhicules ainsi que divers équipements particulièrement coûteux. Ce sinistre s’inscrivait dans le contexte local tendu des manifestations liées au mouvement social de contestation contre la hausse du prix des carburants.

L’assureur et l’exploitant ont sollicité l’indemnisation de leurs préjudices respectifs auprès du tribunal administratif de La Réunion sur le fondement de la sécurité intérieure. Par un jugement du 11 octobre 2023, les premiers juges ont rejeté la requête au motif que le lien de causalité demeurait alors incertain. Les requérants ont interjeté appel devant la juridiction bordelaise en soutenant que les dommages résultaient directement du mouvement de contestation des gilets jaunes. Ils invoquent la proximité géographique immédiate entre les manifestants occupant un giratoire et le lieu précis du cambriolage commis cette nuit-là.

Le litige porte sur la qualification juridique des faits au regard du régime spécial de responsabilité de l’État pour les délits commis par des attroupements. La question posée consiste à déterminer si un vol avec effraction commis avec un matériel technique spécifique peut être rattaché à une action spontanée. La juridiction rejette l’appel en estimant que l’usage d’outils particuliers révèle une action concertée excluant l’application de l’article L. 211-10 du code. L’étude de cette décision s’articulera autour de l’existence d’un attroupement (I) et de l’exclusion des actions préméditées du champ d’indemnisation (II).

**I. La condition de l’existence d’un attroupement ou rassemblement au sens du code de la sécurité intérieure**

*A. L’exigence d’un lien direct avec une manifestation publique* La responsabilité de la puissance publique suppose que les dommages résultent « de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés ». Ces agissements doivent impérativement être le fait de « rassemblements ou attroupements précisément identifiés » selon les critères fixés par la jurisprudence administrative constante. Le juge reconnaît ici que des manifestations contre la perte de pouvoir d’achat se déroulaient effectivement sur le territoire de la commune concernée. L’occupation d’un giratoire par des manifestants à proximité du commerce sinistré constitue un élément contextuel important pour l’analyse globale de la situation.

*B. La nécessaire simultanéité de l’action délictueuse et du mouvement social* L’application du régime d’indemnisation est subordonnée à l’inscription de l’acte dans le prolongement immédiat d’une action collective se déroulant sur la voie publique. La Cour relève que les faits se sont déroulés « concomitamment au commencement du mouvement dit des gilets jaunes » durant la nuit de novembre. Cette temporalité permettrait normalement de présumer un lien avec le désordre public si les conditions de commission de l’infraction restaient par ailleurs incertaines. Toutefois, le juge administratif vérifie si les dégradations procèdent d’une action spontanée ou si elles s’en détachent nettement par leur mode opératoire.

**II. L’exclusion de la responsabilité de l’État face à une action organisée et préméditée**

*A. Le critère matériel de l’utilisation d’outils techniques spécifiques* Le juge écarte la responsabilité étatique en constatant que le rideau métallique a été forcé « au moyen d’un outil spécialement utilisé pour soulever le rideau ». L’usage d’une meuleuse démontre une volonté délibérée de commettre un vol ciblé plutôt qu’une dérive incontrôlée d’un groupe de manifestants présents sur place. Ce matériel technique atteste d’une préparation matérielle incompatible avec la notion de rassemblement spontané telle qu’interprétée par les dispositions du droit de la sécurité. La précision de l’effraction souligne l’existence d’un dessein criminel autonome par rapport aux revendications sociales exprimées par la foule située à proximité.

*B. La qualification d’action concertée par un groupe structuré* La solution repose sur le constat que les actes ont procédé d’une « action concertée d’un groupe d’individus » agissant à seule fin de vol. La Cour considère que l’ampleur des dégradations et les moyens mis en œuvre révèlent une organisation incompatible avec le caractère informel d’un attroupement. Dès lors, le dommage ne relève pas de la solidarité nationale mais de la criminalité de droit commun dont l’État n’assure pas la réparation. Cette décision confirme ainsi la rigueur de l’interprétation restrictive des conditions de mise en œuvre de la responsabilité sans faute de la puissance publique.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture