Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à des prestations de location de vélos. En l’espèce, une société spécialisée dans la location de vélos a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée des prestations fournies à des tour-opérateurs établis dans d’autres États membres de l’Union européenne. Ces prestations consistaient à mettre à disposition des vélos pour les clients de ces tour-opérateurs lors de séjours en France. La société a contesté ce redressement.
Saisi du litige, le tribunal administratif de Poitiers, par un jugement du 28 février 2023, a prononcé la décharge des impositions correspondantes. Le ministre de l’économie a alors interjeté appel de cette décision, soutenant que les opérations devaient être qualifiées de locations de courte durée de moyens de transport, taxables en France en application des dispositions de l’article 259 A du code général des impôts. Le ministre faisait valoir que la durée d’utilisation effective des vélos par les clients finaux, inférieure à trente jours, devait déterminer le régime fiscal. La société prestataire, quant à elle, soutenait que la prestation de service était rendue aux tour-opérateurs dans le cadre d’un contrat de longue durée et devait donc être taxée au lieu d’établissement de ces derniers.
Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si la mise à disposition d’une flotte de vélos au profit d’un tour-opérateur, dans le cadre d’un contrat de six mois, constitue une location de courte durée au sens du droit de la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque les clients finaux de ce tour-opérateur n’utilisent les vélos que pour des périodes inférieures à trente jours.
À cette question, la cour répond par la négative. Elle juge que la prestation ne relève pas du régime dérogatoire des locations de courte durée de moyens de transport. Pour ce faire, elle analyse la nature de la relation contractuelle liant la société prestataire aux tour-opérateurs, et non la durée d’utilisation du bien par le consommateur final. La cour estime que l’obligation contractuelle de maintenir un stock de vélos à la disposition quasi-exclusive du cocontractant sur une longue période caractérise une prestation unique qui ne peut être assimilée à une succession de locations de courte durée.
La solution retenue par les juges du fond repose sur une analyse stricte des engagements contractuels liant le prestataire à son client direct, le tour-opérateur, ce qui conduit à écarter l’application du régime dérogatoire de la TVA (I). Cette approche, fondée sur la réalité économique de l’opération, conduit néanmoins à une solution dont la portée semble étroitement liée aux spécificités de l’espèce (II).
I. La qualification de prestation de mise à disposition de longue durée, exclusive du régime dérogatoire
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une interprétation de la convention liant les parties, qui la conduit à rejeter l’analyse de l’administration fiscale basée sur la durée d’utilisation par le client final (A), pour identifier une prestation de service complexe de gestion d’une flotte de vélos (B).
A. Le rejet d’une analyse fondée sur la durée d’utilisation par le client final
L’administration fiscale considérait que le critère pertinent pour qualifier la prestation était la durée de possession du vélo par le touriste, client du tour-opérateur. Cette durée étant inférieure à trente jours, elle en déduisait l’application de l’article 259 A du code général des impôts, qui prévoit la taxation en France pour les locations de courte durée de moyens de transport mis à disposition sur le territoire national. La cour écarte ce raisonnement en se concentrant sur le véritable preneur du service, à savoir le tour-opérateur. Elle souligne qu’« aucun contrat n’est conclu entre le client, usager du moyen de transport et la société HBR ». Le juge refuse ainsi de décomposer l’opération globale en une multitude de petites locations pour en déterminer le régime fiscal.
En procédant de la sorte, la cour administrative d’appel met en évidence que le fait générateur et le lieu de la taxation ne sauraient dépendre d’éléments extrinsèques au rapport juridique principal. La relation contractuelle pertinente est celle nouée entre le prestataire français et l’organisateur de voyages étranger. Le fait que ce dernier mette ensuite les vélos à disposition de sa propre clientèle pour des durées variables ne modifie pas la nature de la prestation initiale. La solution s’attache donc à la substance du service rendu au preneur assujetti, et non à l’usage final du bien par un tiers non-contractant.
B. L’identification d’un service complexe de gestion de flotte
La cour ne se contente pas d’écarter la qualification de location de courte durée, elle procède à une requalification implicite de la prestation. Elle s’appuie sur les stipulations du contrat-cadre, d’une durée de six mois, pour y déceler les marqueurs d’une opération de longue durée. Il est relevé que la société prestataire est tenue de « conserver en permanence un stock de 30 bicyclettes, dont elle ne peut disposer à sa guise ». Cette obligation de maintenir une flotte dédiée et disponible en permanence pour un client unique sur une longue période est l’élément central de l’analyse.
De plus, la structure de la facturation, qui comprend « un minimum de 400 euros par vélo pour la mise à disposition », indépendamment du nombre de jours d’utilisation effective, renforce cette interprétation. Ce forfait minimum garantit au prestataire une rémunération stable et détache partiellement le prix du service de l’usage réel des vélos. La cour en déduit que le service fourni excède une simple location ponctuelle et s’apparente davantage à une prestation globale de mise à disposition d’une capacité matérielle sur le long terme. C’est donc bien la nature de cet engagement contractuel entre professionnels qui justifie d’écarter le régime dérogatoire.
II. La portée d’une solution fondée sur la primauté de la convention des parties
En faisant prévaloir la réalité contractuelle, la cour adopte une approche économique rigoureuse (A), mais dont la portée doit être nuancée car la solution apparaît fortement dépendante des clauses spécifiques du contrat analysé (B).
A. La consécration d’une approche économique et contractuelle
La décision commentée offre une illustration de la méthode d’interprétation que le juge fiscal doit privilégier en matière de TVA. Plutôt que de s’arrêter à l’apparence des opérations, il recherche la substance économique de l’accord conclu entre les parties. En se référant aux obligations réciproques des cocontractants, la cour met en lumière la véritable nature du service échangé. Cette approche est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui invite à considérer la réalité économique et commerciale pour qualifier une opération aux fins de la TVA.
La valeur de cet arrêt réside dans la sécurité juridique qu’il confère aux opérateurs économiques. En se fondant sur les termes clairs du contrat, le juge offre une prévisibilité bienvenue. Un prestataire sait que le régime fiscal de son service sera déterminé par les engagements qu’il prend envers son client direct, et non par la manière dont ce dernier utilise ultérieurement la prestation. Cette méthode permet de distinguer clairement les prestations de services entre assujettis (BtoB), dont le lieu est en principe celui du preneur, des prestations aux consommateurs finaux (BtoC).
B. Une solution d’espèce subordonnée aux stipulations contractuelles
Si la méthode employée est orthodoxe, la portée de la solution doit être appréciée avec mesure. L’arrêt constitue davantage une décision d’espèce qu’un arrêt de principe. La solution dépend en effet étroitement des stipulations contractuelles particulières qui ont été soumises à l’appréciation des juges. L’obligation de maintenir un stock permanent, l’exclusivité de fait accordée au tour-opérateur sur ce stock, et la présence d’un forfait minimum sont autant d’éléments déterminants qui ont forgé la conviction de la cour.
Il est probable qu’en l’absence de l’une de ces clauses, la solution eût été différente. Un contrat qui ne prévoirait pas de stock dédié, mais une simple priorité de réservation, ou une facturation strictement proportionnelle à l’utilisation journalière sans minimum garanti, pourrait conduire le juge à retenir une qualification distributive et à analyser chaque mise à disposition comme une location de courte durée. La portée de cet arrêt est donc avant tout de fournir un guide aux opérateurs pour la rédaction de leurs conventions : la qualification fiscale de leurs prestations dépendra de la précision et de la nature des obligations qu’ils y inscriront.