Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 18 février 2025, n°23BX01082

Par un arrêt en date du 18 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux se prononce sur les modalités d’indemnisation des heures supplémentaires accumulées par un fonctionnaire de la police nationale. En l’espèce, un capitaine de police admis à la retraite avait sollicité le paiement de 1 422 heures supplémentaires acquises plusieurs années auparavant. Face au refus de l’administration, l’agent avait saisi le tribunal administratif de Pau. Par un jugement du 22 février 2023, les premiers juges avaient annulé la décision de refus et renvoyé l’agent devant le ministre de l’intérieur pour que soit liquidée la somme due. Le ministre a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’agent ne démontrait pas avoir été dans l’impossibilité de récupérer ces heures sous forme de repos avant son départ. L’intimé concluait au rejet de la requête, arguant notamment de la régularité du jugement de première instance et du bien-fondé de sa créance. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si un agent public, qui n’a pu apurer son compte d’heures supplémentaires en raison de contraintes de service passées, conserve son droit à indemnisation lorsqu’il quitte volontairement ses fonctions sans avoir sollicité la récupération de ces heures alors qu’il en avait la possibilité. La cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que si l’impossibilité de récupérer les heures supplémentaires ouvre droit à indemnisation, il appartient à l’agent de démontrer que cette impossibilité persistait jusqu’à son départ. En l’absence d’une telle preuve, et dès lors que l’agent a sollicité sa mise à la retraite anticipée, la cour estime que la demande d’indemnisation n’est pas fondée. Elle précise ainsi que « il ne ressort pas des pièces du dossier qu’à l’issue de cette période, [l’agent] (…) ait été placé, en raison des exigences de sa hiérarchie, dans l’impossibilité de récupérer sous forme de repos les heures supplémentaires en litige ».

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I. Le rappel du principe de l’indemnisation des heures supplémentaires et la consécration d’une condition probatoire stricte

La cour administrative d’appel, tout en rappelant le cadre juridique de l’indemnisation (A), en conditionne fermement l’application à la preuve d’une impossibilité de récupération qui doit être continue et imputable au service (B).

A. La réaffirmation du droit à indemnisation comme alternative à la récupération

La décision commentée prend soin de rappeler le mécanisme régissant la compensation du temps de travail des fonctionnaires de police. Se fondant sur les dispositions combinées du décret du 9 mai 1995 et du décret du 3 mars 2000, le juge d’appel réaffirme le principe selon lequel les services supplémentaires non susceptibles de donner lieu à récupération ouvrent droit à une indemnité. L’arrêt énonce clairement que « L’impossibilité de récupérer de tels services supplémentaires peut être la conséquence d’une décision de l’administration, prise pour les besoins du service, ou résulter de la situation du fonctionnaire concerné, notamment de son état de santé ». En reconnaissant que l’agent n’avait pas pu récupérer ses heures durant ses affectations à l’étranger, la cour admet que le droit à indemnisation était potentiellement ouvert. Cette première partie du raisonnement s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui vise à garantir qu’un travail accompli ne reste ni compensé ni rémunéré, conformément aux principes généraux du droit de la fonction publique. La position de la cour valide ainsi le fondement théorique de la demande de l’agent, en reconnaissant que des circonstances de service objectives, telles que des missions à l’étranger, constituent une impossibilité de fait de prendre des repos compensateurs.

B. L’exigence d’une impossibilité de récupération persistante à la charge de l’agent

Toutefois, la cour opère une distinction temporelle déterminante dans l’appréciation des droits de l’agent. Elle ne se contente pas de constater une impossibilité passée, mais examine si cette impossibilité perdurait au moment où l’agent a quitté le service. Le juge d’appel souligne qu’après son retour de missions à l’étranger, il n’est pas établi que l’agent « ait été placé, en raison des exigences de sa hiérarchie, dans l’impossibilité de récupérer sous forme de repos les heures supplémentaires en litige ». En faisant peser sur le requérant la charge de prouver la persistance de cette contrainte, la cour adopte une approche rigoureuse. Elle relève que l’agent a bénéficié d’une disponibilité pour convenances personnelles, puis a sollicité sa radiation des cadres pour une retraite anticipée. Ces éléments factuels sont interprétés comme la démonstration d’une absence de contrainte hiérarchique qui l’aurait empêché de liquider ses droits à repos. Le raisonnement de la cour implique que le droit à indemnisation, né d’une impossibilité passée, peut s’éteindre si l’agent retrouve ultérieurement la possibilité de prendre ses repos et choisit de ne pas en user avant de quitter volontairement ses fonctions.

II. La portée d’une solution pragmatique et la clarification du régime probatoire

Cette décision, par sa solution pragmatique (A), clarifie les obligations qui incombent à l’agent public souhaitant obtenir la monétisation de ses heures supplémentaires au moment de son départ à la retraite (B).

A. Une interprétation pragmatique des textes au service d’une gestion rigoureuse des deniers publics

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux se distingue par son pragmatisme. En refusant une indemnisation automatique des heures historiques, il prévient un effet d’aubaine pour les agents qui, disposant d’une latitude dans l’organisation de leur fin de carrière, pourraient préférer une indemnisation financière à la prise effective de leurs repos. La solution retenue protège les deniers publics en s’assurant que l’indemnisation demeure une exception strictement conditionnée à une impossibilité réelle et actuelle, et non un droit tiré d’une situation passée définitivement révolue. Cette approche restrictive est cohérente avec l’esprit des textes, qui font de la récupération par des repos le mode de compensation de principe. La cour évite ainsi que le compte épargne-temps informel ne se transforme en un capital financier mobilisable à la seule discrétion de l’agent au moment de son départ. La décision s’inscrit dans une logique de bonne administration des ressources humaines et financières, en liant étroitement le droit à indemnisation à une contrainte de service avérée et non à un choix personnel de l’agent.

B. La clarification de l’office de l’agent public dans l’apurement de ses droits avant la retraite

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt réside dans la clarification du rôle de l’agent public. Il lui incombe une forme d’obligation de diligence pour apurer ses droits à repos lorsqu’il en a la possibilité. La décision suggère qu’un agent ne saurait rester passif et attendre son départ pour réclamer une indemnisation s’il a disposé d’une période durant laquelle les nécessités de service ne faisaient plus obstacle à la prise de ses congés. En choisissant de solliciter une disponibilité puis une retraite anticipée sans formuler de demande de récupération, l’agent est réputé avoir renoncé à ce droit, ou du moins ne plus pouvoir se prévaloir d’une impossibilité imputable à l’employeur. Cette jurisprudence incite donc les agents à être proactifs dans la gestion de leur temps de travail et de leurs droits à repos tout au long de leur carrière. Elle constitue un avertissement : le droit à indemnisation n’est pas un droit de créance acquis ad vitam æternam, mais une faculté subsidiaire dont la mise en œuvre dépend de circonstances précises qui doivent être réunies au moment où le paiement est sollicité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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