Un ressortissant de nationalité tunisienne, entré régulièrement en France en 2019 au moyen d’un visa de court séjour, s’est maintenu sur le territoire après l’expiration de celui-ci. En janvier 2023, il a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en qualité de salarié. Le préfet de la Vienne a rejeté sa demande par un arrêté du 19 juillet 2023, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d’une fixation du pays de renvoi. Saisi par l’intéressé, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers, par un jugement du 30 avril 2024, a annulé la mesure d’éloignement et la décision fixant le pays de destination, au motif que le refus de séjour qui leur servait de fondement était entaché d’une erreur de droit. Le préfet a interjeté appel de ce jugement. La question soumise à la cour administrative d’appel consistait à déterminer si l’illégalité d’un des motifs d’un refus de séjour entraînait nécessairement l’annulation de la mesure d’éloignement subséquente, ou si le juge pouvait valider cette dernière en se fondant sur un autre motif, légal celui-là, justifiant le refus initial. Dans sa décision du 18 février 2025, la cour administrative d’appel annule le jugement de première instance. Elle juge que si le refus de séjour était bien fondé sur un motif erroné, il reposait également sur un second motif, l’absence de visa de long séjour, qui à lui seul justifiait légalement la décision. Par l’effet dévolutif de l’appel, la cour examine ensuite les autres moyens soulevés et les écarte, jugeant notamment que la décision n’emportait pas d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé.
L’arrêt illustre avec clarté l’office du juge administratif face à une décision de l’administration reposant sur une motivation multiple, en permettant la validation d’une mesure d’éloignement par substitution de motifs (I). Il confirme également l’appréciation restrictive des atteintes à la vie privée et familiale lorsque la précarité du séjour et la faiblesse des attaches en France sont établies (II).
I. La validation de la mesure d’éloignement par substitution de motifs
La cour administrative d’appel, infirmant l’analyse du premier juge, applique la théorie de la substitution de motifs pour sauver l’acte administratif contesté. Elle écarte ainsi l’illégalité d’un premier motif (A) en s’appuyant sur un second motif jugé légal et suffisant (B).
A. La censure du motif erroné initialement retenu par le premier juge
Le tribunal administratif avait annulé la mesure d’éloignement en retenant, par voie d’exception, l’illégalité du refus de titre de séjour. Cette illégalité résultait du fait que le préfet avait opposé à l’intéressé la situation de l’emploi, condition pourtant écartée par l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988 pour les métiers figurant dans une liste annexée au protocole de 2008. L’erreur de droit commise par l’administration était donc avérée, et le préfet ne la contestait d’ailleurs pas en appel. En toute logique, une décision administrative fondée exclusivement sur un motif illégal ne peut que être annulée. Le premier juge a suivi ce raisonnement classique en considérant que le refus de séjour, étant privé de base légale, ne pouvait servir de fondement à une obligation de quitter le territoire français.
Cette approche, bien que rigoureuse, ne tenait cependant pas compte de la pluralité de motifs invoqués par le préfet dans son arrêté. La cour administrative d’appel se devait d’examiner l’ensemble de la motivation de l’acte pour déterminer si, au-delà de l’erreur de droit relevée, la décision de refus pouvait néanmoins être justifiée par un autre fondement.
B. La neutralisation de l’illégalité par un motif légalement suffisant
La cour constate que l’arrêté préfectoral du 19 juillet 2023 ne se limitait pas au motif jugé illégal. Il se fondait également sur « l’absence de présentation par l’intéressé du visa de long séjour exigé par les dispositions précitées de l’article L. 412-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Or, cette exigence constitue une condition de principe pour la première délivrance d’une carte de séjour temporaire. Ce second motif, parfaitement légal, était de nature à justifier à lui seul la décision de refus.
La cour opère alors une substitution de motifs en déclarant que « le préfet aurait pris la même décision s’il avait pris en compte ce seul motif ». Cette technique jurisprudentielle permet au juge de ne pas annuler une décision administrative lorsque l’administration aurait, en se fondant sur le seul motif légal, pris une décision identique. La mesure d’éloignement retrouve ainsi une base légale valide, et l’annulation prononcée par le premier juge est par conséquent infirmée. Cette solution pragmatique évite une annulation purement formelle qui aurait contraint l’administration à reprendre, sur un fondement corrigé, une décision identique.
II. Le rejet des moyens de fond relatifs à la situation personnelle
Ayant rétabli la base légale de la mesure d’éloignement, la cour examine, par l’effet dévolutif de l’appel, les autres moyens soulevés par le requérant. Elle rejette tant l’argument tiré d’une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale (A) que celui fondé sur une erreur manifeste d’appréciation (B).
A. Le rejet d’une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale
L’intéressé invoquait une méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour procède à une mise en balance des intérêts en présence. D’un côté, elle prend note de l’insertion professionnelle de l’individu depuis mars 2020 et de sa relation avec une ressortissante française. De l’autre, elle relève la durée de son séjour irrégulier, de près de trois ans, avant toute démarche de régularisation. La cour minimise la portée des éléments d’intégration produits, jugeant que l’insertion professionnelle n’est pas « aboutie » et que la relation de couple n’est pas établie dans son « ancienneté » et sa « stabilité ».
Face à ces éléments, la juridiction souligne que l’intéressé « a conservé des attaches familiales dans son pays d’origine, dans lequel il a vécu jusqu’à l’âge de 29 ans et où résident ses parents, son frère et sa sœur ». La balance penche donc en défaveur du maintien sur le territoire. L’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale est ainsi jugée proportionnée à l’objectif de défense de l’ordre public et de contrôle des flux migratoires, conformément aux exigences du second paragraphe de l’article 8.
B. L’absence confirmée d’une erreur manifeste d’appréciation
Le requérant soutenait également que le préfet avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation de sa situation. Ce contrôle, plus restreint que celui de la proportionnalité, ne conduit à l’annulation que si la décision administrative est manifestement inadaptée aux faits de l’espèce. Pour écarter ce moyen, la cour s’appuie sur les mêmes éléments factuels que ceux mobilisés pour l’analyse au regard de l’article 8 de la convention. Elle rappelle la situation irrégulière prolongée de l’intéressé et la faiblesse des preuves relatives à son intégration sociale et familiale en France.
En reprenant cette argumentation, la cour conclut que le préfet n’a pas commis d’erreur d’une gravité telle qu’elle justifierait une annulation. Les décisions de refus de séjour et d’obligation de quitter le territoire français ne sont donc pas jugées manifestement erronées. La cohérence du raisonnement de la cour renforce la solidité de sa décision, qui refuse de censurer l’appréciation portée par l’administration sur une situation personnelle jugée globalement précaire.