Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 18 février 2025, n°24BX01610

Un agent public, lauréat d’un concours de professeur certifié, a contesté son arrêté de nomination et de classement initial, estimant que l’administration n’avait pas correctement pris en compte ses services antérieurs en tant que contractuel. Par un premier arrêt en date du 13 juillet 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux lui a donné raison. Elle a annulé le classement de l’agent et a enjoint à l’administration de modifier ce classement en tenant compte de plusieurs années de services effectuées au sein d’une chambre de commerce et d’industrie, et de procéder à la reconstitution de sa carrière. Faisant face à une exécution qu’il jugeait incomplète de la part de l’administration, l’agent a saisi de nouveau la même cour afin qu’elle assure l’exécution de sa précédente décision. L’administration a produit de nouveaux arrêtés reconstituant la carrière de l’intéressé. Toutefois, la cour a estimé cette exécution encore insuffisante, ce qui a conduit à l’ouverture d’une procédure juridictionnelle dédiée, aboutissant à l’arrêt commenté.

La question de droit posée à la cour administrative d’appel était de déterminer l’étendue des pouvoirs et des obligations du juge de l’exécution lorsqu’il constate que l’administration n’a que partiellement et de manière erronée appliqué une décision de justice lui enjoignant de reconstituer la carrière d’un agent.

Par un arrêt du 18 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux précise les mesures nécessaires à la complète exécution de sa décision antérieure. Elle constate que l’administration a commis une erreur de droit dans le choix du fondement juridique du nouveau classement et a omis de tirer les conséquences financières de la reconstitution de carrière. En conséquence, elle enjoint au recteur de procéder à une exécution complète en corrigeant ces erreurs et en régularisant la situation de l’agent en matière de rémunération et de droits à pension, assortissant cette injonction d’une astreinte financière.

La décision commentée illustre avec clarté la persistance de l’administration dans une exécution défaillante de la chose jugée (I), ce qui conduit le juge à affirmer l’étendue de son office pour garantir l’effectivité de sa décision (II).

***

I. L’exécution défaillante de l’autorité administrative

L’analyse de l’arrêt révèle que l’administration, bien qu’ayant produit de nouveaux actes, a manqué à son obligation d’exécuter pleinement et correctement la décision de justice du 13 juillet 2022. Cette défaillance se manifeste d’une part par une application erronée des règles de reclassement (A) et d’autre part par une méconnaissance des conséquences financières qui en découlaient (B).

A. Une application erronée des règles de reclassement

La cour relève une erreur de droit manifeste commise par l’administration dans la mise en œuvre de l’injonction. En effet, la reconstitution de carrière a été effectuée sur un fondement juridique inadapté à la situation de l’agent. Le juge constate que « le classement de M. B… dans le corps des professeurs certifiés de classe normale a été établi par référence aux dispositions de l’article 11-2 du décret du 5 décembre 1951 (…) et non par référence aux dispositions précitées de l’article 11-5 du même décret afférentes au reclassement d’agents non titulaires, seules applicables à la situation de l’intéressé ».

Cette confusion entre les statuts d’ancien fonctionnaire et d’ancien agent non titulaire est significative. Elle démontre une lecture incorrecte de la situation juridique de l’agent, en contradiction directe avec l’esprit et la lettre de l’arrêt initial qui visait précisément à valoriser ses services en tant que non-titulaire. L’administration n’a donc pas seulement procédé à un nouveau calcul ; elle l’a fondé sur des bases légales erronées, perpétuant ainsi une méconnaissance des droits de l’agent et vidant de sa substance la portée de l’annulation contentieuse.

B. Une méconnaissance des conséquences financières de l’annulation

Au-delà de l’erreur sur le fondement du reclassement, l’administration a également fait preuve d’une vision restrictive des implications de la reconstitution de carrière. La cour souligne que cette dernière « impliquait également la reconstitution de ses droits à rémunération et à pension ». L’exécution ne pouvait se limiter à une simple correction administrative de l’échelon et de l’ancienneté ; elle devait nécessairement emporter des conséquences pécuniaires concrètes pour l’agent.

Le juge constate sur ce point une double carence. D’une part, l’agent n’a pas bénéficié du dispositif de maintien de sa rémunération antérieure, pourtant prévu par les textes applicables, alors qu’il y avait droit. D’autre part, l’administration est restée passive quant à la régularisation de sa situation sociale, puisqu’elle « ne justifie pas des démarches entreprises aux fins de régulariser la situation de M. B… auprès des organismes de sécurité sociale et de retraite ». En omettant de verser les cotisations correspondantes, l’administration a non seulement privé l’agent d’une rémunération immédiate correcte, mais a également compromis ses droits futurs à pension.

Face à cette résistance administrative qui dénature la portée de la chose jugée, le juge de l’exécution est contraint de préciser de manière explicite les obligations qui pèsent sur l’administration.

II. L’office étendu du juge de l’exécution

Confrontée à une exécution incomplète et erronée, la cour administrative d’appel ne se contente pas de constater la défaillance ; elle use de ses prérogatives pour définir les contours exacts de l’exécution attendue. Elle procède ainsi à une précision des modalités d’exécution de la chose jugée (A), tout en la renforçant par la menace d’une sanction pécuniaire dissuasive (B).

A. La précision des modalités d’exécution de la chose jugée

L’apport principal de l’arrêt réside dans la manière dont le juge définit lui-même les mesures d’exécution, conformément à l’article L. 911-4 du code de justice administrative. Le juge rappelle son pouvoir de définir ces mesures « si le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est demandée n’a pas défini les mesures d’exécution ». Il se positionne non comme un simple arbitre mais comme un véritable garant de l’effectivité de la décision, en se plaçant « à la date de sa décision » pour tenir compte de tous les éléments de droit et de fait.

Dans ce cadre, la cour ne se borne pas à un simple rappel de l’injonction initiale. Elle détaille les deux points sur lesquels l’action administrative doit porter : la nécessité d’appliquer le bon texte réglementaire pour le classement et l’obligation de reconstituer l’intégralité des droits financiers de l’agent, incluant la rémunération et les cotisations sociales afférentes. Ce faisant, le juge ne modifie pas sa décision antérieure, mais il en explicite la portée et les conséquences pratiques, palliant l’incapacité ou le refus de l’administration de le faire correctement.

B. La sanction pécuniaire de l’inertie administrative

Afin de s’assurer que ses prescriptions seront cette fois suivies d’effet, le juge assortit son injonction d’un moyen de contrainte efficace. La cour décide qu’à défaut d’une exécution complète dans un délai de trois mois, « une astreinte de 100 euros par jour de retard est prononcée à l’encontre de l’Etat ». Cet outil coercitif vise à vaincre l’inertie de l’administration et à garantir une prompte régularisation de la situation de l’agent.

Le prononcé d’une astreinte n’est pas seulement une menace ; il est la manifestation ultime du pouvoir d’injonction du juge administratif. Il transforme une obligation de faire en une contrainte financière directe pour l’État, rendant l’inexécution plus coûteuse que l’exécution. Cette mesure souligne la détermination de la juridiction à faire prévaloir le droit et à assurer que la protection juridictionnelle accordée au justiciable ne reste pas une simple déclaration de principe, mais se traduise par des effets concrets et tangibles dans sa situation personnelle.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture