Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 20 février 2025, n°23BX01185

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu, le 20 février 2025, un arrêt relatif à la régularité de la procédure de licenciement d’un salarié protégé. Un salarié, exerçant des fonctions de superviseur et candidat aux élections professionnelles, a vu son contrat rompu suite à une liquidation judiciaire. L’inspecteur du travail a autorisé ce licenciement par une décision du 22 mars 2021, malgré l’annulation préalable des élections du personnel par le juge judiciaire.

Saisi par le salarié, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette autorisation administrative le 30 mars 2023 pour vice de procédure. Le liquidateur de la société a alors interjeté appel devant la juridiction bordelaise afin d’obtenir l’annulation de ce jugement de première instance. Le requérant soutient qu’une impossibilité matérielle empêchait l’organisation de nouvelles élections professionnelles dans les délais impartis par la procédure collective.

Il affirme également que la consultation du représentant des salariés désigné par le tribunal de commerce permettait de pallier l’absence de comité social et économique. Le problème juridique posé réside dans la possibilité pour l’employeur de se dispenser d’un procès-verbal de carence en invoquant une liquidation judiciaire imminente. La juridiction d’appel rejette la requête en estimant que l’absence de ce document officiel prive nécessairement le salarié protégé d’une garantie substantielle. L’examen de la décision commande d’étudier l’exigence impérative de consultation des instances (I), avant d’analyser la portée de la protection fonctionnelle (II).

I. L’exigence impérative de consultation des instances représentatives

A. L’irrégularité procédurale tirée de l’absence de procès-verbal de carence

Le Code du travail impose la mise en place d’un comité social et économique dans les entreprises atteignant le seuil de onze salariés. En cas de carence, l’employeur doit impérativement établir un procès-verbal constatant l’absence de représentants élus suite à une tentative régulière d’organisation du scrutin. La Cour relève qu’un jugement avait annulé les élections précédentes et qu’aucune nouvelle élection n’avait été organisée malgré une injonction juridictionnelle.

Elle précise qu’il est « constant qu’aucun procès-verbal de carence, constatant cette impossibilité et comportant les motifs de nature à justifier cette situation, n’a été établi ». L’absence formelle de ce document caractérise une méconnaissance flagrante des dispositions de l’article L. 1235-15 du Code du travail régissant les licenciements économiques. Cette formalité demeure obligatoire même si la liquidation judiciaire de l’entreprise rend l’organisation de nouvelles élections matériellement complexe dans les délais légaux.

B. L’insuffisance du représentant des salariés comme substitut au comité social et économique

Pour justifier la procédure, le liquidateur invoquait la consultation du représentant des salariés désigné conformément aux dispositions spécifiques du Code de commerce. La Cour écarte ce raisonnement en soulignant que cette fonction possède des « attributions limitées aux seuls actes relatifs à la procédure collective » ouverte à l’égard de l’entreprise. Cette instance ne saurait donc « être regardée comme une instance représentative du personnel au sens du code du travail pouvant se substituer au CSE ».

Les juges d’appel confirment ainsi l’étanchéité entre les missions de surveillance de la procédure collective et les garanties procédurales dues aux salariés. La consultation d’un organe non compétent pour les questions de droit du travail ne permet pas de purger le vice de procédure. Cette solution garantit que seule une instance dotée de prérogatives sociales réelles puisse émettre un avis sur la rupture des contrats.

II. La rigueur de la protection fonctionnelle du salarié protégé

A. La privation d’une garantie substantielle pour le salarié

Le respect des règles de consultation des instances représentatives constitue une garantie fondamentale dont la violation entache irrémédiablement la régularité du licenciement envisagé. La juridiction administrative considère que la décision d’autorisation est « intervenue au terme d’une procédure irrégulière qui a privé » l’intéressé d’une protection légale indispensable. Cette approche stricte s’inscrit dans la jurisprudence constante protégeant les salariés investis de mandats syndicaux ou candidats aux fonctions de représentation.

L’absence de consultation du comité social et économique, ou à défaut du procès-verbal de carence, empêche le contrôle effectif des motifs du licenciement. Le juge administratif refuse ainsi de valider une autorisation fondée sur une procédure ayant ignoré les droits collectifs minimaux des travailleurs. La méconnaissance d’une telle garantie procédurale entraîne l’annulation de l’acte administratif sans que l’administration puisse invoquer l’urgence de la situation.

B. La confirmation d’une solution protectrice en période de liquidation judiciaire

La liquidation judiciaire, bien que créant une urgence économique, ne saurait affranchir l’employeur ou le liquidateur des obligations procédurales relatives à la représentation du personnel. Les magistrats bordelais estiment que les dispositions violées « sont constitutives d’une garantie pour tout salarié faisant l’objet d’un licenciement économique » en situation de défaillance. En confirmant l’annulation de l’autorisation, la Cour rappelle que la protection des représentants du personnel survit aux difficultés de l’entreprise.

La solution retenue impose aux mandataires judiciaires une vigilance accrue quant au respect du formalisme légal lors de la rupture des contrats de travail. Cette décision renforce la sécurité juridique des salariés protégés face aux impératifs parfois expéditifs des procédures de liquidation judiciaire sans poursuite d’activité. Le juge administratif assure ainsi une application rigoureuse de la loi malgré les contraintes temporelles fortes pesant sur les organes de la procédure.

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Hassan KOHEN
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