Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 20 février 2025, n°23BX01899

Par un arrêt en date du 20 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux, statuant sur renvoi du Conseil d’État, s’est prononcée sur la légalité d’une autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique. En l’espèce, un salarié, titulaire d’un mandat de délégué du personnel, avait été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail. Après un refus initial de l’inspectrice du travail, le ministre du travail avait finalement autorisé le licenciement. Le salarié avait alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui avait annulé cette autorisation au motif que l’employeur n’avait pas procédé à une recherche sérieuse de reclassement. La société employeuse a interjeté appel, mais la cour administrative d’appel a d’abord rejeté sa requête, avant que le Conseil d’État ne casse cet arrêt et ne renvoie l’affaire devant la même cour pour qu’elle soit rejugée. Les juges du fond devaient donc déterminer si l’autorisation de licenciement accordée par l’autorité ministérielle était légale, en examinant d’une part le sérieux de l’obligation de reclassement de l’employeur et, d’autre part, l’existence éventuelle d’un lien entre la dégradation de l’état de santé du salarié et l’exercice de son mandat représentatif. À cette question, la cour administrative d’appel répond par l’affirmative, considérant que l’employeur a satisfait à son obligation de reclassement et que l’inaptitude du salarié ne peut être directement rattachée à l’exercice de ses fonctions représentatives, justifiant ainsi l’annulation du jugement de première instance et validant la décision ministérielle.

Il convient d’analyser la confirmation par le juge d’appel d’une conception pragmatique de l’obligation de reclassement (I), avant d’étudier l’appréciation rigoureuse du lien de causalité entre l’inaptitude et le mandat protégé (II).

I. La confirmation d’une conception pragmatique de l’obligation de reclassement

La cour administrative d’appel, infirmant le jugement de première instance, valide la démarche de l’employeur en s’appuyant d’une part sur une interprétation stricte des préconisations du médecin du travail (A) et en reconnaissant, d’autre part, le caractère sérieux d’une recherche de reclassement large mais infructueuse (B).

A. La portée déterminante des conclusions médicales sur l’étendue de la recherche

La décision commentée accorde une place centrale à l’avis du médecin du travail pour évaluer le périmètre des obligations de l’employeur. La cour relève que le médecin du travail, après avoir constaté l’inaptitude, a précisé qu’« il n’existe pas actuellement de capacités de travail restantes pour un reclassement au sein de l’entreprise ». Face à une telle conclusion, les juges estiment que l’employeur n’a pas dénaturé les propos du médecin en considérant qu’aucun poste, même aménagé, ne pouvait être proposé. Cette position illustre une approche réaliste du contrôle administratif et juridictionnel, qui prend acte des limites objectives posées par l’expert médical. En effet, lorsque le médecin du travail ferme lui-même la porte à toute possibilité de reclassement interne, l’obligation de l’employeur, sans être anéantie, s’en trouve considérablement circonscrite. Le juge administratif se refuse ainsi à exiger de l’employeur qu’il aille au-delà des préconisations claires et non équivoques du professionnel de santé. Cette analyse consacre l’avis médical comme le pivot de l’appréciation du caractère sérieux de la recherche, délimitant le champ des actions raisonnablement exigibles.

B. La validation d’une recherche de reclassement étendue mais vaine

Bien que le salarié ait exprimé des restrictions géographiques et sectorielles précises, la cour valide la démarche de l’employeur qui a étendu ses recherches à l’échelle nationale et au sein de l’ensemble du groupe. Le juge constate que la société « a sollicité les 27 octobre et 14 novembre 2016 les autres établissements de la société, ainsi que les autres entreprises du groupe Samsic présentes sur le territoire national, en vue de la recherche d’un poste de reclassement ». Cette démarche, bien qu’infructueuse, est jugée suffisante pour caractériser le sérieux de la recherche. La cour écarte les offres d’emploi produites par le salarié au motif qu’elles manquent de précisions pour établir leur adéquation avec son profil. Par cette analyse, les juges confirment que l’obligation de reclassement est une obligation de moyen renforcée, non de résultat. L’employeur doit démontrer avoir mis en œuvre des diligences réelles et sérieuses, même si celles-ci n’aboutissent pas. Le caractère sérieux est ici attesté par l’ampleur de la recherche, qui dépasse les propres souhaits du salarié, et par la formalisation des démarches auprès des autres entités du groupe, démontrant une investigation active.

La cour ayant établi que l’obligation de reclassement était satisfaite, elle devait encore s’assurer que le licenciement n’était pas dissimulé sous un motif d’inaptitude alors qu’il serait en réalité lié au mandat du salarié.

II. L’appréciation rigoureuse du lien entre l’inaptitude et l’exercice du mandat

Le second apport de l’arrêt réside dans son examen minutieux du lien de causalité entre l’inaptitude et le mandat. La cour écarte ce lien en se fondant sur une analyse chronologique stricte des faits (A) et en relativisant la portée des entraves à l’exercice du mandat survenues durant l’arrêt de travail (B).

A. La primauté de la chronologie dans l’exclusion du lien de causalité

Pour écarter le lien entre l’inaptitude et le mandat, la cour se livre à une reconstitution factuelle précise. Elle rappelle le principe selon lequel l’administration doit refuser un licenciement qui serait en rapport avec les fonctions représentatives. Or, elle constate que « la dégradation de l’état de santé de M. A… était antérieure à l’exercice de son mandat syndical ». Le juge relève que les sanctions disciplinaires, l’inaptitude temporaire initiale et la saisine du conseil de prud’hommes sont survenues avant l’élection du salarié. Cette antériorité des faits dénoncés comme étant à l’origine de l’altération de la santé est considérée comme un élément dirimant. Même si une cour d’appel judiciaire a reconnu un harcèlement moral, la cour administrative observe que celui-ci repose sur des faits majoritairement antérieurs au mandat. La démonstration d’une ambiance de travail délétère affectant d’autres salariés non protégés achève de déconnecter la situation personnelle de l’intéressé de son statut de représentant du personnel. Le raisonnement est donc fondé sur une causalité directe et temporelle : ce qui est antérieur au mandat ne peut en être la conséquence.

B. La neutralisation des obstacles au mandat durant la suspension du contrat de travail

Le salarié faisait également état de difficultés rencontrées dans l’exercice même de son mandat, telles que des oublis dans les communications ou la suppression de la diffusion électronique des comptes rendus. Cependant, la cour minimise la portée de ces faits en soulignant qu’ils « sont intervenus alors qu’il se trouvait en arrêt maladie depuis plusieurs semaines ». La juridiction en déduit que ces événements n’ont pu être « à l’origine d’une aggravation de la dégradation de l’état de santé de M. A… ». Cette analyse est significative, car elle suggère qu’une entrave à l’exercice du mandat n’est susceptible de vicier la procédure de licenciement pour inaptitude que si elle a un impact direct et avéré sur la santé du salarié. En l’occurrence, la suspension du contrat de travail pour maladie fait écran entre les manquements de l’employeur et une éventuelle aggravation de l’état de santé. Par conséquent, l’existence d’obstacles à l’exercice des fonctions représentatives ne suffit pas, à elle seule, à établir un lien avec l’inaptitude lorsque le salarié est déjà absent de l’entreprise. La cour exige une démonstration factuelle d’un lien tangible entre la faute de l’employeur et la dégradation de la santé, lien qu’elle estime ici rompu par les circonstances.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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