Par un arrêt en date du 20 février 2025, la Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un étranger se prévalant de sa prise en charge passée par l’aide sociale à l’enfance.
En l’espèce, un ressortissant burkinabè, affirmant être entré en France en 2019 durant sa minorité, fut confié aux services de l’aide sociale à l’enfance du département de la Gironde. À sa majorité, il a sollicité la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » sur le fondement de sa situation d’ancien mineur pris en charge et de son intégration professionnelle, matérialisée par un contrat d’apprentissage. Par un arrêté du 12 décembre 2022, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, au motif principal que les documents d’état civil fournis présentaient des doutes sérieux quant à leur authenticité, remettant en cause la condition d’âge requise pour le titre de séjour sollicité. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui, par un jugement du 4 mars 2024, a rejeté sa demande. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la procédure de vérification de ses documents, affirmant leur validité, et soutenant que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
Le problème de droit soumis à la Cour était de déterminer si des indices matériels de falsification, relevés par une expertise technique, suffisaient à l’administration pour écarter la force probante d’actes d’état civil étrangers et, par conséquent, refuser un droit au séjour dont l’octroi dépend d’une condition d’âge précise.
La Cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a jugé que l’administration était en droit de faire procéder à des vérifications sur les documents d’état civil présentés et que les éléments matériels de falsification découverts suffisaient à ôter toute valeur probante à ces actes. Par conséquent, le requérant ne pouvait établir avoir été confié à l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans, condition impérative pour l’obtention de plein droit du titre de séjour demandé. La Cour a également estimé que le refus de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, compte tenu de la faiblesse de ses attaches en France.
Cette décision confirme la rigueur avec laquelle l’administration peut contrôler l’authenticité des documents fondateurs d’un droit au séjour (I), ce qui conduit à une application stricte des conditions d’admission au séjour et de la notion d’intégration (II).
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I. La validation du contrôle administratif de l’authenticité des actes d’état civil étrangers
La Cour légitime la méthode de vérification employée par l’administration en reconnaissant la validité du recours à une expertise spécialisée (A) et consacre la suffisance des indices matériels de fraude pour écarter la force probante des documents (B).
A. La légitimité du recours à une expertise technique
Le requérant soutenait que la saisine des services de la police aux frontières pour analyser ses documents constituait un vice de procédure. La Cour écarte fermement cet argument en se fondant sur l’article 47 du code civil, qui autorise l’administration à effectuer « toutes vérifications utiles » pour s’assurer de la régularité, de l’authenticité et de l’exactitude d’un acte d’état civil étranger. L’arrêt affirme ainsi que « La saisine de la cellule fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières (DZPAF) en vue de l’analyse des documents d’état-civil présentés par M. C… ne saurait donc caractériser un vice de procédure. »
En validant cette pratique, le juge administratif adopte une position pragmatique. Il reconnaît que l’administration doit disposer de moyens techniques et d’une expertise interne pour exercer son pouvoir de contrôle, notamment face à des fraudes de plus en plus sophistiquées. Cette solution renforce la capacité de l’autorité préfectorale à s’assurer de la fiabilité des pièces qui lui sont soumises, condition essentielle à la correcte application de la loi. Le recours à un service spécialisé n’est pas perçu comme une mesure de défiance abusive, mais comme une modalité légitime de l’instruction d’une demande de titre de séjour.
B. La suffisance des indices matériels pour renverser la présomption de validité
Au-delà de la procédure de vérification, la Cour se prononce sur la force des éléments recueillis. Elle détaille avec précision les conclusions du rapport de la police aux frontières : un numéro de jugement supplétif ajouté sur une couche de correcteur liquide, une encre différente révélée par un éclairage infrarouge, et la dissimulation de l’ancien numéro. Face à ces constats, le juge considère que « la préfète de la Gironde disposait d’éléments suffisants pour écarter comme dépourvus de valeur probante les actes d’état civil communiqués par M. C… ».
Cette approche est significative, car elle n’exige pas de l’administration qu’elle obtienne une confirmation de la fraude par les autorités du pays d’origine, démarche souvent longue, complexe, voire infructueuse. Les indices matériels et objectifs de la falsification suffisent à renverser la présomption de foi attachée à l’acte, conformément à l’article 47 du code civil. La charge de la preuve est alors reportée sur le demandeur, qui doit par d’autres moyens établir la réalité des faits qu’il allègue. La Cour confirme ainsi que ni une carte consulaire ni un passeport, délivrés sur la base de ces mêmes documents suspects, ne peuvent valoir confirmation de leur authenticité.
II. L’application rigoureuse des conditions d’admission au séjour
La disqualification des documents d’état civil entraîne mécaniquement le rejet de la demande de titre de séjour au titre de la protection de l’enfance (A) et conduit à une appréciation restrictive de l’intégration au regard de la vie privée et familiale (B).
A. La déchéance du droit spécifique au séjour pour les anciens mineurs protégés
Le droit au séjour prévu par l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est conditionné à une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance « au plus tard le jour de ses seize ans ». En concluant à l’absence de force probante des actes de naissance, la Cour juge que cette condition d’âge n’est pas remplie. Le raisonnement est implacable : « Le requérant, qui ne justifie pas avoir été confié au service de l’aide sociale à l’enfance au plus tard le jour de ses seize ans, ne peut être regardé comme satisfaisant à la condition d’âge prévue par les dispositions ».
Cette analyse illustre une application stricte de la loi. Une fois la fraude documentaire établie, le juge refuse d’examiner les autres conditions, telles que le sérieux du suivi de la formation ou la nature des liens avec la famille d’origine. La condition d’âge est un prérequis absolu dont l’absence fait obstacle à l’ensemble du dispositif. La décision confirme que les dispositifs de protection prévus pour les jeunes majeurs anciennement pris en charge par l’ASE ne sauraient s’appliquer lorsque le fondement même de cette protection, à savoir l’âge de l’intéressé, est remis en cause par des éléments de fraude probants.
B. L’appréciation restrictive de l’intégration par la vie privée et familiale
À titre subsidiaire, le requérant invoquait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour examine cet argument au regard de la situation globale de l’intéressé à la date de la décision. Elle note une résidence de trois ans et demi en France et un contrat d’apprentissage, mais relève que l’étranger « ne s’y prévaut d’aucune attache personnelle ou familiale ».
Elle en conclut que ces seuls éléments « ne suffisent pas à faire regarder le refus de titre de séjour comme portant à son droit au respect de sa vie privée une atteinte contraire aux stipulations de l’article 8 ». Cette position, conforme à une jurisprudence constante, rappelle que l’insertion professionnelle, si réelle soit-elle, ne constitue qu’un élément d’appréciation parmi d’autres et ne suffit généralement pas, en l’absence de liens familiaux ou personnels particulièrement forts et stables en France, à caractériser une atteinte disproportionnée. La décision est ici une décision d’espèce qui confirme la prévalence de l’objectif de maîtrise des flux migratoires lorsque les attaches de l’étranger en France sont jugées ténues.