Par un arrêt en date du 22 avril 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un arrêté préfectoral statuant sur une demande d’autorisation environnementale pour un projet de parc éolien. L’espèce présentait la particularité d’une décision administrative mixte, combinant une autorisation pour cinq aérogénérateurs et un refus pour trois autres, au sein d’un même projet initial. Saisie de plusieurs requêtes jointes, l’une émanant de la société pétitionnaire contestant le refus partiel, les autres provenant de collectivités territoriales et contestant l’autorisation partielle, la juridiction a dû se livrer à un examen complet du dossier. La société exploitante contestait en outre le rejet de sa demande de modification d’une prescription technique relative à la mesure des nuisances sonores. Se posaient ainsi à la cour les questions de savoir si un refus partiel pouvait être légalement fondé sur une appréciation localisée des atteintes environnementales, si la réduction du nombre d’éoliennes par l’administration constituait une modification substantielle du projet viciant la procédure, et enfin, comment devaient être interprétées les règles de calcul des émergences sonores en présence de parcs exploités par des tiers. La cour administrative d’appel a validé le refus partiel, jugeant que l’autorité préfectorale n’avait pas commis d’erreur d’appréciation au regard des atteintes excessives à la biodiversité et au paysage. Elle a par ailleurs considéré que l’autorisation des cinq autres machines n’était entachée d’aucune illégalité, écartant notamment le grief tiré d’une modification substantielle du projet. Enfin, usant de ses pouvoirs de plein contentieux, elle a censuré pour erreur de droit la prescription relative aux nuisances sonores et a procédé elle-même à sa modification.
La décision commentée offre une illustration du contrôle différencié opéré par le juge administratif en matière de police des installations classées, qui valide l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’administration lorsqu’il est solidement motivé (I), tout en réformant activement ses erreurs manifestes dans l’application des normes techniques (II).
I. La validation d’une appréciation administrative circonstanciée des impacts du projet
La cour administrative d’appel confirme la démarche de l’autorité préfectorale qui, par une analyse fine, a distingué au sein d’un même projet les installations acceptables de celles qui ne l’étaient pas. Cette position consacre la légalité d’un refus partiel fondé sur des atteintes localisées et cumulatives (A) et se complète par le rejet des critiques formulées à l’encontre de la partie autorisée du projet (B).
A. La confirmation du refus fondé sur des atteintes localisées et cumulatives
L’autorité préfectorale avait motivé son refus d’autoriser trois des huit éoliennes sollicitées par les risques spécifiques qu’elles engendraient pour leur environnement direct. La cour valide cette approche en examinant successivement l’atteinte à la biodiversité et l’impact paysager. Concernant la faune, elle retient que la partie ouest du projet, où devaient s’implanter les machines refusées, constituait un corridor écologique sensible. Elle relève ainsi que « l’emprise supplémentaire […] constituerait un rétrécissement notable du couloir de migration déjà affecté par les parcs existants ». L’effet barrière et le risque de collision justifiaient donc, sans erreur d’appréciation, la décision de refus. De même, concernant les paysages, le juge constate que le projet s’insère dans un secteur « fortement marqué par le motif éolien ». Il estime que les trois éoliennes refusées étaient « de nature à aggraver de façon significative le phénomène de saturation visuelle pour au moins trois des lieux de vie concernés ». En conséquence, la cour considère que « le motif de refus, tiré de la saturation visuelle et du risque d’encerclement, opposé par la préfète pour refuser l’installation et l’exploitation des éoliennes 1, 2 et 6 n’est pas entaché d’erreur d’appréciation ». Cette analyse valide une gestion granulaire des projets éoliens, où l’autorisation n’est pas un bloc monolithique mais peut être ajustée aux sensibilités de chaque portion du territoire.
B. Le rejet des moyens dirigés contre la fraction autorisée du projet
Symétriquement à la validation du refus, la cour écarte les arguments avancés par les collectivités requérantes qui contestaient la légalité de l’autorisation des cinq autres éoliennes. Parmi les nombreux moyens soulevés, celui relatif à la modification du projet à l’issue de l’enquête publique méritait une attention particulière. Les opposants soutenaient que la réduction du nombre de machines de huit à cinq modifiait l’économie générale du projet et aurait dû déclencher une nouvelle enquête. La cour rejette fermement cette thèse en jugeant que « l’autorité préfectorale peut régulièrement, pour la délivrance d’une autorisation d’exploiter un parc éolien, réduire le nombre d’éoliennes à implanter demandé par le pétitionnaire, sans qu’elle soit regardée comme procédant à une modification substantielle du projet ». Cette solution clarifie que l’ajustement à la baisse par l’autorité décisionnaire relève de son pouvoir de police et non d’une altération du projet par son porteur. De surcroît, la cour écarte les critiques sur l’insuffisance de l’étude d’impact et l’absence de demande de dérogation « espèces protégées », estimant que le risque résiduel pour la faune, après application des mesures d’évitement et de réduction, n’était pas « suffisamment caractérisé » pour exiger une telle dérogation.
II. La censure de l’interprétation erronée des règles techniques par le juge de plein contentieux
Alors que la cour fait preuve d’une certaine retenue dans l’appréciation des impacts environnementaux, elle exerce un contrôle beaucoup plus strict sur l’application des normes techniques, en l’occurrence acoustiques. Elle identifie une erreur de droit dans une prescription de l’arrêté (A) et y remédie directement par l’exercice de ses pouvoirs de réformation (B).
A. La caractérisation de l’erreur de droit dans l’évaluation des nuisances sonores
Le litige portait sur l’article 7g de l’arrêté d’autorisation, qui imposait à l’exploitant d’intégrer le bruit des parcs éoliens voisins, exploités par d’autres sociétés, dans le calcul du bruit particulier de son propre projet. Cette méthode avait pour effet de rendre les seuils d’émergence sonore beaucoup plus difficiles, voire impossibles à respecter. La cour examine les dispositions de l’arrêté ministériel du 26 août 2011 régissant la matière. Elle en déduit que l’obligation de prendre en compte le bruit global de plusieurs installations ne s’applique « que lorsque plusieurs installations classées pour la protection de l’environnement sont exploitées par une même personne sur un même site ». Par conséquent, le bruit généré par les parcs de tiers doit être intégré au bruit ambiant résiduel, et non au bruit spécifique du nouveau projet. La cour conclut sans ambiguïté que « la prescription mentionnée dans l’arrêté attaquée […] est donc entachée d’une erreur de droit ». Elle souligne que cette lecture est d’ailleurs conforme aux préconisations du guide ministériel relatif aux études d’impact, conférant à sa décision une assise technique et doctrinale solide.
B. La réformation active de l’autorisation en application des pouvoirs de plein contentieux
Ayant constaté l’illégalité de la prescription, le juge ne se contente pas de l’annuler. Il rappelle son office spécifique en la matière, précisant qu’« il appartient également au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients […] peut, dans le cadre de son office de plein contentieux […] modifier ou compléter l’autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l’illégalité constatée ». Faisant une application directe de ce pouvoir, la cour décide dans son dispositif de supprimer purement et simplement les alinéas litigieux de l’article 7g de l’arrêté préfectoral. Cette intervention illustre la plénitude de juridiction dont dispose le juge administratif dans le contentieux des installations classées, qui lui permet de ne pas seulement juger un acte, mais de le corriger et de le réécrire pour le mettre en conformité avec le droit. Cette posture garantit une sécurité juridique accrue pour les opérateurs économiques tout en assurant une application correcte et uniforme des réglementations techniques sur l’ensemble du territoire.