Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 23 décembre 2024, n°23BX01196

Par un arrêt en date du 23 décembre 2024, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions de remise en cause d’un avantage pécuniaire lié à une affectation ultramarine et sur les modalités de rémunération d’un fonctionnaire en congé de maladie ordinaire. En l’espèce, un contrôleur principal des finances publiques affecté en Martinique avait été placé en congé de maladie, période durant laquelle il s’est rendu en France métropolitaine pour des consultations médicales. Son administration a alors engagé une procédure de recouvrement de la majoration de traitement qu’il avait perçue durant son séjour hors du département, avant de le placer à demi-traitement après l’épuisement de ses droits à plein traitement. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de La Martinique avait rejeté ses demandes tendant à l’annulation de la décision de recouvrement et de celle le plaçant à demi-traitement. Les premiers juges avaient déclaré la première requête irrecevable comme tardive et avaient estimé la seconde non fondée. Le fonctionnaire a interjeté appel de ce jugement, contestant tant l’appréciation de la tardiveté de son recours que le raisonnement écartant le lien entre son état de santé et une situation de harcèlement moral qu’il invoquait. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer, d’une part, si le séjour temporaire d’un agent en métropole pouvait lui ouvrir droit au délai de distance pour contester une décision et, d’autre part, si une allégation de harcèlement moral était opérante pour contester le passage à demi-traitement au titre d’un congé de maladie ordinaire. La cour a confirmé le jugement de première instance, considérant que la recevabilité d’un recours s’apprécie au regard de la résidence habituelle de l’agent et que le moyen tiré du harcèlement moral est inopérant dans le cadre d’une contestation des droits à rémunération en congé maladie. La solution rappelle ainsi la stricte application des règles de procédure contentieuse encadrant les délais de recours (I), tout en confirmant la nécessaire distinction des fondements juridiques en matière de gestion de la paie des agents publics (II).

I. Une application rigoureuse des règles de computation des délais de recours

La cour administrative d’appel confirme l’irrecevabilité de la demande de première instance en adoptant une lecture stricte des conditions de notification d’une décision administrative (A) et une interprétation restrictive de la notion de résidence ouvrant droit à une prorogation des délais de recours (B).

A. La présomption de validité de la notification à un tiers

L’arrêt rappelle que la notification d’une décision administrative fait courir le délai de recours contentieux à compter de sa réception effective par son destinataire ou par un mandataire habilité. En l’espèce, l’agent soutenait ne pas avoir pu réceptionner le pli recommandé contenant la décision de recouvrement, car il se trouvait en Martinique à la date de la signature de l’avis de réception en métropole. Cependant, la cour considère que la signature apposée sur l’avis de réception fait foi de la remise du pli à cette date, peu important que l’agent lui-même n’ait pas été physiquement présent. Elle énonce qu’il « ne démontre pas, alors qu’il supporte la charge de la preuve, que la personne qui a réceptionné le pli en son nom n’aurait pas eu qualité pour le faire ». Ce faisant, elle consacre une présomption de mandat en faveur du tiers qui a réceptionné le courrier, faisant peser sur le destinataire la charge de prouver l’absence de qualité de ce tiers. Cette solution, classique en contentieux administratif, vise à sécuriser les relations juridiques en évitant que le délai de recours ne puisse être indéfiniment suspendu par l’absence temporaire du destinataire de son lieu de séjour.

B. Le rejet d’une conception extensive de la résidence pour le délai de distance

La décision apporte une précision utile quant à l’application de l’article R. 421-7 du code de justice administrative, qui augmente le délai de recours pour les personnes ne demeurant pas dans la collectivité où siège le tribunal. Le requérant, dont la résidence administrative et personnelle était située en Martinique, se prévalait de son séjour temporaire en métropole pour revendiquer le bénéfice de ce délai de distance. La cour écarte fermement cet argument en jugeant qu’il « ne peut dès lors se prévaloir de son séjour en métropole durant son congé de maladie pour bénéficier de la majoration du délai de recours contentieux ». La juridiction ancre ainsi le bénéfice de cette prorogation de délai non pas au lieu de séjour effectif de l’agent à la date de la notification, mais à sa résidence habituelle, qui correspond au centre de ses intérêts professionnels et personnels. Cette interprétation restrictive préserve la finalité du délai de distance, qui est de compenser les difficultés matérielles liées à l’éloignement géographique permanent du justiciable, et non de s’adapter aux déplacements temporaires de celui-ci, fussent-ils justifiés par des raisons de santé.

II. Une stricte séparation des fondements juridiques en matière de congé de maladie

L’arrêt illustre une orthodoxie juridique rigoureuse en dissociant clairement le régime du congé de maladie ordinaire des allégations de harcèlement moral (A), renvoyant implicitement l’agent vers les procédures adéquates pour faire valoir de tels griefs (B).

A. L’inopérance du moyen tiré du harcèlement moral

Face à la décision le plaçant à demi-traitement, l’agent n’a pas contesté l’exactitude du décompte de ses jours de congé mais a soutenu qu’il aurait dû conserver son plein traitement en raison d’une situation de harcèlement moral. La cour déclare ce moyen inopérant en soulignant que la réduction de la rémunération est une conséquence automatique de l’épuisement des droits à plein traitement prévus par la loi, en l’occurrence l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984. Le juge administratif rappelle que « dans la mesure où un tel moyen est sans incidence sur l’épuisement de ses droits au plein traitement durant un congé de maladie ordinaire, M. B… n’est pas fondé à soutenir que les premiers juges ont à tort rejeté » sa demande. Cette approche confirme que la gestion administrative du congé de maladie ordinaire obéit à une logique purement statutaire et objective, déconnectée des causes de l’arrêt de travail, sauf reconnaissance d’une imputabilité au service selon une procédure distincte. Le placement à demi-traitement n’est pas une sanction mais une simple application des règles de paie.

B. Le renvoi implicite à une procédure distincte pour l’imputabilité au service

En écartant l’argument du harcèlement moral, l’arrêt souligne en creux la nécessité pour l’agent d’engager les démarches spécifiques pour faire reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie. La cour relève que l’agent « n’allègue ni ne démontre qu’il aurait présenté une demande de congé d’invalidité temporaire imputable au service ni obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle ». Elle rappelle ainsi que le maintien du plein traitement au-delà de trois mois n’est possible que si la maladie est reconnue comme imputable au service, ce qui suppose une procédure contradictoire et une décision expresse de l’administration sur ce point. Le contentieux du harcèlement moral et celui de la reconnaissance d’une maladie professionnelle sont autonomes et ne sauraient être subsidiairement invoqués dans un litige portant sur l’application des règles du congé de maladie ordinaire. La décision contraint ainsi le justiciable à une plus grande rigueur dans la structuration de ses recours, chaque prétention devant être portée par des moyens de droit qui lui sont propres et selon la procédure qui lui est applicable.

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