Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 23 décembre 2024, n°24BX01152

Par un arrêt en date du 23 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’un refus de renouvellement de titre de séjour opposé à un étranger en raison de la menace que son comportement représenterait pour l’ordre public. En l’espèce, un ressortissant tunisien, présent en France depuis son enfance, a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. L’administration a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a prononcé une interdiction de retour de cinq ans, se fondant sur de multiples condamnations pénales et un comportement général constituant une menace à l’ordre public. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation des mesures d’éloignement. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour était entaché d’un vice de procédure substantiel et d’une appréciation erronée de son droit au respect de la vie privée et familiale, rendant par voie de conséquence illégales les autres décisions. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si un refus de séjour fondé sur une menace à l’ordre public peut être légalement justifié par les seules condamnations pénales d’un individu, nonobstant l’existence d’un vice de procédure dans la consultation de ses antécédents judiciaires, et si une telle décision constitue une atteinte proportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé. La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative, en neutralisant la portée du vice de procédure allégué avant de confirmer une appréciation stricte de la balance entre la protection de l’ordre public et le respect de la vie privée et familiale.

I. La neutralisation du vice de procédure par la solidité des motifs de la décision

La Cour administrative d’appel, tout en reconnaissant la nature protectrice de la procédure de consultation des antécédents judiciaires, écarte son éventuelle méconnaissance en raison de la présence d’autres motifs justifiant à eux seuls la décision préfectorale.

A. La reconnaissance du caractère substantiel de la garantie procédurale

Le requérant soulevait l’irrégularité de la consultation du traitement des antécédents judiciaires (TAJ), faute pour l’administration de prouver l’habilitation de l’agent consultant et la saisine subséquente du procureur de la République. La Cour prend soin de rappeler le sens et la finalité de cette procédure, prévue par l’article R. 40-29 du code de procédure pénale. Elle énonce clairement que la saisine préalable des services de police ou du ministère public a pour objet de protéger les personnes mentionnées dans ces fichiers. Par une formule dénuée d’ambiguïté, elle juge qu’une telle formalité « constitue, de ce fait, une garantie pour toute personne dont les données à caractère personnel sont contenues dans les fichiers en cause ». Cette qualification de « garantie » n’est pas neutre, elle implique que son non-respect est susceptible d’entacher d’illégalité la décision administrative qui en découle. En qualifiant ainsi cette procédure, le juge administratif affirme son importance dans la protection des droits des administrés face à l’utilisation par l’administration de fichiers de police pouvant contenir des informations non vérifiées ou obsolètes.

B. L’application pragmatique de la théorie des vices de procédure

Cependant, après avoir posé ce principe, la Cour en limite immédiatement la portée en l’espèce. Elle applique la jurisprudence bien établie selon laquelle un vice de procédure n’entraîne l’annulation d’un acte que s’il a exercé une influence sur le sens de la décision ou s’il a privé l’intéressé d’une garantie. Or, la Cour constate que la décision du préfet n’était pas uniquement fondée sur la consultation du traitement des antécédents judiciaires. Elle reposait également, et de manière déterminante, sur les condamnations pénales inscrites au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de l’intéressé, ainsi que sur une dernière condamnation à une peine d’emprisonnement ferme. La juridiction en conclut que « le préfet de la Gironde aurait en tout état de cause pris la même décision s’il ne s’était fondé que sur les seules condamnations prononcées à l’encontre de l’intéressé ». Ce faisant, elle neutralise le moyen tiré du vice de procédure, considérant que les motifs tirés des condamnations pénales, factuellement incontestables, suffisaient amplement à fonder légalement le refus de séjour pour menace à l’ordre public.

II. La prévalence de l’ordre public sur le droit à la vie privée et familiale

La Cour procède ensuite à un contrôle de proportionnalité de l’atteinte portée aux droits du requérant et conclut que la gravité et la récurrence des faits délictueux justifient la décision administrative, malgré les attaches personnelles et familiales de l’intéressé en France.

A. Une appréciation rigoureuse de l’effectivité des liens personnels et familiaux

Le requérant invoquait son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en se prévalant de sa longue présence en France, de ses liens avec ses parents et frères, et de sa relation avec une ressortissante française devenue son épouse et attendant un enfant. La Cour examine chaque élément avec une rigueur notable, en se plaçant systématiquement à la date de la décision contestée. Elle relativise la portée de la longue durée de séjour, qui ne confère pas un droit automatique. Surtout, elle juge que les preuves de l’ancienneté et de la stabilité de la relation de couple, comme le mariage postérieur à l’arrêté et la naissance à venir, ne suffisent pas à établir « l’existence d’une vie commune effective remontant à 2020, ou à tout le moins d’une ancienneté suffisante pour caractériser une relation stable à la date de la décision contestée ». Cette analyse factuelle stricte conduit le juge à minimiser le poids des attaches de l’intéressé dans la balance des intérêts en présence, les considérant comme insuffisamment établies au moment où le préfet a statué.

B. La confirmation d’une conception exigeante de l’intégration sociale

Face à ces liens familiaux jugés relativement fragiles sur le plan probatoire, la Cour oppose la solidité des éléments caractérisant une menace à l’ordre public. Elle ne se contente pas d’énumérer les condamnations pénales récentes et variées. Elle souligne que ce « comportement délictueux à la fois récent et répété, en dépit de l’avertissement reçu le 12 février 2021 », est de nature à « démontrer un défaut d’intégration au sein de la société française ». La référence à l’avertissement antérieur est déterminante, car elle montre que l’intéressé a persisté dans son comportement en toute connaissance des conséquences pour son droit au séjour. En conséquence, la Cour juge que la décision préfectorale n’a pas porté une atteinte excessive au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Cette solution confirme une ligne jurisprudentielle constante selon laquelle la protection de l’ordre public constitue un impératif majeur qui peut légitimement primer sur le droit à la vie privée et familiale, lorsque le comportement d’un étranger témoigne d’un rejet persistant des règles fondamentales de la société.

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Hassan KOHEN
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